L'ARTICLE PRIME DE GUY NEZA PAR LE BIT

les enfants dans le dépotoir d'akoédo


Située à la périphérie d’Abidjan, la décharge d’Akouedo a toujours fait l’objet de toutes sortes de fantasmes. En réalité, elle n’est qu’un vaste dépotoir à ciel ouvert où des tonnes d’ordures collectées dans tout le district d’Abidjan sont déversées chaque jour. Un bien triste tableau. Le traitement des déchets domestiques étant un concept encore inconnu en Côte d’Ivoire, les ordures sont jetés là, en l’état. Des yaourts périmés aux seringues déjà usitées, etc. Drame sanitaire, écologique, social… Mais passons. Ayant eu écho de ce que des enfants travailleraient sur cette décharge publique alors que l’arrêté du 19 janvier 2012 du ministère d’Etat, ministère de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Solidarité (MEMEASS) interdit la récupération d’objets dans les décharges publiques par les enfants, il nous est venu l’envie d’aller sur place pour nous faire notre propre opinion.

Les ordures, c’est l’or que les autres rejettent

Il est un peu moins de 13 heures lorsque nous arrivons à la décharge d’Akouedo. Sur place, on est tout de suite frappé par les montagnes d’immondices qui se dressent à perte de vue. Puis, cette puanteur. Odeur pestilentielle, omniprésente, insupportable. Comme diraient certains, là-bas les déchets toxiques, c’est tous les jours. À l’odeur vient s’ajouter la poussière que les bennes à ordures soulèvent à chacun de leur passage. Insalubrité, mauvaise odeur, poussière… Travailler dans ce dangereux cocktail.
Et les enfants, me diriez-vous ? Il ne faut pas se donner trop de peine pour en trouver sur le site. Ils ont entre 1 et 15 ans, tous venus accompagner leurs parents. Les plus jeunes font des glissades sur les monticules d’ordures devant nos yeux médusés. Et pourtant, insalubrité, mauvaise odeur, poussière… Grandir dans ce dangereux cocktail. Au fur et à mesure que nous progressions, nous découvrions des enfants, occupés à retourner dans tous les sens les détritus. Nous décidons d’engager la conversation avec un groupe de 4 fillettes qui avait attiré notre attention. Plus intriguées qu’intimidées, elles répondent vaguement à nos questions, se disant sans nul doute que trop en dire leur serait préjudiciable. Respect des consignes ? Peut être. Mais de qui ? On retiendra tout de même de notre bref échange avec nos méfiantes interlocutrices qu’elles ont entre 7 et 13 ans, ne sont point scolarisées et passent leurs journées à ramasser des « bidons » toute la journée afin de les revendre. Pour qui travaillent-elles ? A qui remettent-elles ce qu’elles récupèrent ? A ces questions, L.V, A., M., A. répondront qu’elles sont juste là pour aider leur mère.

Des mini-exploratrices qui connaissent déjà la loi du silence
Tous les objets qu’elles collectent durant la journée, elles les donnent à leur génitrice sans se préoccuper du reste. Elément de langage ou vérité ? On n’en saura pas davantage. On retiendra juste l’image de quatre fillettes crasseuses, dépenaillées, déguenillées. Image difficile que celle de ces gamines flanquées de bottes avec pour seul outil de travail un bâton pour les aider à fouiller dans les décombres. Quelques mètres plus loin, se trouve un autre groupe de petites filles visiblement heureux de ce qu’il avait trouvé. Une fois près d’elles, ce que nous découvrons nous fait pousser un cri d’effroi. Des boyaux intestinaux (d’on ne sait quel animal) en putréfaction. Visiblement une bonne prise, si l’on s’en tient aux mines radieuses des  »minis exploratrices », encore moins loquaces que L.V et ses sœurs. À côté des boyaux, se trouvent une grande quantité d’œufs qui les satisfont à tout point de vue. Après que M., la plus âgée, a interdit à ses amies de répondre à nos questions, elle nous révèle tout de même qu’elles ont l’habitude de se rendre à la décharge d’Akouedo afin d’y chercher de quoi manger. «Les œufs et les boyaux sont pour nous-mêmes. Nous les ramènerons à la maison pour les consommer. Ici, on appelle ça ‘’pôrôrô’’», insiste la meneuse. Dans sa voix, une pointe de satisfaction. On dirait qu’elles se voient chanceuses de faire une prise. Rien que ça ! Comme si dire les choses simplement pouvait dédouaner l’horreur.
Près de 2 heures après notre arrivée à la décharge d’Akouedo, nous faisons la rencontre du petit O.S, 12 ans. Souriant, jovial, plein d’allant. Il nous racontera en gros comment il a arrêté les études en classe de CM2 par la seule volonté de ses parents qui, dit-il, «n’auraient pas les moyens nécessaires pour le scolariser». Avec son père et sa mère, il va tous les jours de 7h à 18h – dans des conditions épouvantables – ramasser des bouteilles et des sachets en plastique. Ce travail lui permet de gagner entre 1000 FCFA et 2000 FCFA chaque jour. Une enfance volée pour si peu !, pourrait-on dire.

Parents bourreaux

Les adultes que nous avons interrogés ont du mal à percevoir le mal qu’ils font aux enfants, ne se projetant pas totalement dans l’avenir. Pour eux, il faut régler les problèmes de l’instant et si cela passe par une aide des enfants, pourquoi pas ? La pauvreté servant d’alibi collectif, les enfants ne connaissent donc pas les joies et les peines de la vie scolaire, se voyant dès leur plus jeune âge contraints de récupérer dans ce dépotoir géant bouteilles, sachets plastiques, nourriture, etc. Selon des chiffres communiqués par l’ONG ASA (Afrique Secours Assistance), active sur cette problématique, plus de 70 % des enfants vivant là ne sont pas déclarés à l’état-civil. F, le représentant de toute la communauté étant absent, notre échange avec B.O,  »son second » tourne court. «Ceux même qui vont à l’école ne trouvent pas du travail», assène-t-il, pour justifier la présence des enfants à la décharge un jour de classe. F., que nous avons plus tard joint au téléphone refusa de nous donner l’adresse de leur principal client, l’entreprise GIG (Groupement d’Industrie Générale), avant de se prononcer sur l’impact d’un tel environnement sur l’état de santé des enfants en ces termes : «Si tu envoies des enfants de Cocody ici, c’est sûr qu’ils tomberont malades. Ceux qui sont ici sont nés dans  »ça ». Ils ne tombent pas malades». Vous y avez vu du cynisme ? Détrompez-vous, c’est juste de l’ignorance. Des enfants immunisés, il faut l’avoir entendu pour le croire.

En bout de course, les profits des industriels

À la décharge d’Akouedo, les bouteilles et sachets plastiques récupérés sont remis après la pesée à F. Ce dernier est le seul habilité à commercer avec GIG, une entreprise située dans la zone industrielle de Yopougon et spécialisée dans la fabrication d’objets en plastique comme les chaises, assiettes, etc. GIG rachète donc à F. les bouteilles et sachets plastiques respectivement à 75 F CFA le kg et 150 F CFA le kg. Une question évidente se pose donc. GIG a-t-il connaissance de ce que des enfants travaillent sur la décharge et participent peut-être à la récupération des bouteilles et sachets plastiques qu’elle rachète? Le Président Directeur Général de ladite entreprise, C. B, que nous avons retrouvé dans ses locaux affirme ne rien savoir des conditions dans lesquelles travaillent ceux qui lui livrent les objets en plastique récupérés. «Il ne nous revient pas à nous de demander où et comment ont été ramassés les objets en plastique. Nous avons plus d’une cinquantaine de fournisseurs et nos seuls contacts avec eux sont lorsqu’ils viennent nous livrer ici les objets qu’ils ont récupérés», a affirmé C. B. Bien que sur la défensive, les arguments du PDG tiennent la route car son seul fournisseur dans cette transaction est F, un majeur ayant toutes ses facultés. Pourtant, tous, nous sommes responsables de ce drame qui se joue sous nos yeux.



Jusqu’à quand ?
La perception du travail des enfants par les parents et tout le corps social in extenso les mœurs est-elle en adéquation avec les conventions 182 et 135, qui interdisent les pires formes de travail des enfants et déterminent l’âge auquel un enfant peut commencer à travailler, signées librement par les autorités ivoiriennes ? Quand le gouvernement passera-t-il le cap des slogans pour faire appliquer par exemple l’arrêté du MEMEASS du 19 janvier 2012 ? En attendant une hypothétique prise de conscience générale, sur le terrain, l’ONG ASA se démène malheureusement toute seule pour apporter aide et soutien aux enfants de la décharge d’Akouedo. Afin d’occuper sainement les enfants pendant que leurs parents travaillent sur la décharge, ASA a ouvert un espace dénommé Centre aéré pour les enfants récupérateurs d’ordures sur le site de l’ancienne décharge. On y dispense des cours d’alphabétisation. On y sert des repas aux enfants. On y apprend un métier aux plus grands, etc. Une note d’espoir à ce bien triste tableau.
Guy-Constant Neza
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