ENFANTS TALIBES : UN CANCER SOCIAL EN GESTATION EN COTE D'IVOIRE



dimanche, 23 juillet 2017 11:55
Le phénomène s’est installé en Côte d’Ivoire ces dernières années avec un pic dans les villes du Nord. Korhogo compte plus de 500 enfants.
Un cancer social en gestation
Ils ont 5, 7, 8 ans ou un peu plus. A peine le client prend-il place dans un maquis de Korhogo qu’il l’accoste afin de lui soutirer des jetons, des restes de nourriture, des vivres ou même des vêtements. Tines ou sachets plastiques à la main, les enfants que l’on qualifie de « Talibé » ou « Dougoumankala », (étudier à domicile) pullulent dans les rues de Korhogo, au point de ne laisser personne indifférent. « Nous sommes plus de 100 enfants chez Doukouré, qui apprenons le Coran. Il y a des filles parmi nous. Elles sont talibé aussi. Ce sont elles qui font la cuisine. Mais avant cela, il nous faut ramener de l’argent à la maison. Car si tu en donnes, on fait la cuisine pour toi. Mais si tu ne ramènes rien, tu n’as pas droit au repas », confie Sanogo Mamadou, rencontré à l’espace Maracana. Il a environ douze ans.                                                
Vêtu d’un pantalon et d’un t-shirt dont les couleurs initiales ne sont plus reconnaissables, tant ils sont sales, il tient dans sa main un sachet de « gnomi » (galettes de mil).
Il s’agit là de son gain qu’il s’apprête à revendre, afin de recueillir la somme de 1000 CFA que son maitre lui exige par jour. S’il n’a pu réunir cette somme, il sera contraint de manger au maquis.                                                    
Cela fait trois ans qu’il se livre à la mendicité. Bien que n’étant pas au mieux de sa forme (il est convalescent suite à un paludisme), le môme sillonne les maquis en quête de sa pitance journalière, avec pour seul rêve de retourner un jour dans son pays. « A la fin de la formation, on devient Karamoko ou chef Talibé. J’ai encore plus de six ans à passer chez le maitre, mais je ne sais pas si j’irai jusqu’au bout, parce que la formation est trop dure », dit-il.
Prise de compassion, Mme Silué Véronique une cliente, lui offre un billet de 1000FCFA et des comprimés de paracétamol, non sans s’émouvoir devant cette situation. « Neuf mois de grossesse, pour laisser l’enfant entre les mains de quelqu’un qui le maltraite. Je ne sais pas ce que les mères de ces enfants ont à la place du cœur».                                                                                                                                              
Conditions de vie difficile
La vie de ces enfants n’est pas aisée, si l’on s’en tient également aux propos de Diarrassouba Yacou, Oumar Coulibaly et Ladji Diakité, au maquis du carrefour Koulotcholo Wochio. Ils dorment dans la rue, à la place de l’indépendance ou chez les patrons, sur une grande natte ( ?).                              
Leur patron s’appellerait IB. Ils ont tous moins de dix ans et leur aspect n’est pas différent de Sanogo. Vêtements de grandes tailles, sales, dans lesquels les plus petits ont tendance à disparaitre, et pieds nus. Ils envahissent littéralement les clients. Agacé, un serveur leur fait signe de s’éloigner. Cependant ceux-ci ne s’exécutent pas, en raison de la pression dont ils disent être l’objet. Car, ils sont sommés de ramener 200FCFA par jour à la maison. Ceux qui reviennent bredouilles sont victimes de sévices corporels, selon Diarrassouba Yacou. « Celui qui n’a pas cette somme est bastonné. Si je ne ramène rien, le maitre va me frapper », dit-il de sa voix fluette.
Plus avertis, parce que certainement victimes de menaces par les maitres, ses camarades craignent de faire la conversation. Sous les feux de nos questions, ils ont disparu progressivement au point de laisser seul, Diarrassouba, non sans lui avoir intimé l’ordre de se méfier de nous.
Jacques Konan, client du maquis est habitué au spectacle de ces enfants. Pourtant, il ne peut s’empêcher de faire quelques critiques. « Je ne sais pas comment on peut laisser des enfants trainer à une heure tardive dans de tels lieux. C’est de l’inconscience ».
Kouloutcholo Man « ma vie est entre les mains de Dieu, en langue locale Sénoufo », nie être enfant Talibé, mais se livre à la mendicité. Ayant quitté ses parents à M’bengué à 75 kms de Korhogo, il vivrait chez sa tante.
Au nom de la tradition
Initié depuis son enfance, Talla Adama, maitre Talibé, faisant office de coordonnateur des talibé de Korhogo, refuse les critiques qu’il juge, par ailleurs superficielles. Car instituer des écoles coraniques obéit selon lui à une tradition. « Quand nous étions petits, nous avons été éduqués à l’Islam de la sorte, et c’est cette tradition que nous voulons perpétuer. Mon père Alpha Yaya et Doukouré de Haoussabougou, sont les premiers à avoir ouvert des écoles talibé ici à Korhogo. Malheureusement, les autorités font des rafles au cours desquelles ils retirent les enfants des rues et mettent les maîtres aux arrêts », déplore-t-il.                                                                                                                                      
Poussant son analyse plus loin, il affirme que les écoles coraniques font partie des préceptes islamiques et se font à l’image de la religion judéo chrétienne. « Il est difficile de mettre fin à une pratique qui a commencé depuis très longtemps, de génération en génération. De même que les chrétiens emmènent leurs enfants à l’église, les font baptiser afin de prendre la communion, c’est la même chose que nous faisons. L’islam nous enseigne que toute personne doit connaitre le Coran. C’est notre façon à nous de faire notre baptême ».                                                                 
A en croire Talla, qui ne le dit pas ouvertement, l’école Talibé est une méthode pour le musulman de refuser d’être inféodé au christianisme.
« Avant l’arrivée des colons français, c’est ainsi que nos parents enseignaient l’Islam. C’est aussi la raison pour laquelle, ils ont refusé d’amener leurs enfants à l’école française, parce que ce sont les catholiques qui tenaient l’école. En y allant, on devenait catholique ». Cependant l’homme ne nie pas certains désagréments. « On ne peut pas dire que nos enfants ne mendient pas. Ils étudient de 06h du matin jusqu’à 10h30 où ils sortent chercher de quoi manger. Mais celui qui ne ramène rien n’est pas brimé non plus », dit-il.
Pour lui, la réputation de cette communauté est ternie par certains intrus, se faisant passer pour des élèves. « Quand les enfants dioula viennent, ils donnent nos noms sans que nous n’ayons de rapport avec eux. Récemment un enfant a fui de Ouangolo pour se retrouver ici. Un autre qui est venu de Niakara a fait tourner les autorités en rond. Il se nomme Sidibé, mais se faisait appeler Diallo Ousmane. Il a fait cinq ans ici. D’autres viennent du Mali ou du Burkina, sans aucune attache ici », se défend-il.
Complicité des parents
La plupart des enfants rencontrés affirment avoir été confiés aux maîtres par leurs pères, pour l’apprentissage du Coran. Ceux-ci n’ignorent pas les brimades dont ils sont l’objet. Sanogo Mamadou, qui porte une cicatrice en plein visage, marque d’un fouet, affirme que son géniteur est informé de tout. « Mon père sait que le maître me bat. Quand je lui en parle, il me demande de résister ». Ses autres petits camarades, Diarrassouba Yacou, Oumar Coulibaly et Diakité Ladji ne disent pas le contraire.
Leurs parents vivent dans les pays frontaliers d’où ils viennent de temps à autre leur rendre visite. Malgré notre insistance, nous n’avons pu rencontrer quelques-uns, Talla ayant refusé de nous les présenter.
Les enfants quant à eux, prétendent ne pas les connaitre.                                                            
L’hygiène n’est pas à la portée de ces enfants qui, pour prendre un bain, vont au marigot où ils lavent le linge, par la même occasion. En cas de maladie, ils sont soignés au moyen de la médecine traditionnelle, avec des plantes « soubahirisssou », au dire de Sanogo.
Que dire des vêtements qu’ils portent ? Ils les reçoivent de généreux donateurs, dans les domiciles qu’ils parcourent.
Un exutoire pour eux
Une Ong dénommée Anaed (Association d’aide à l’enfance en danger), tente de sortir les enfants de la rue, non sans difficulté. Jean-Paul Désiré Tati, un membre explique, quelque peu déçu : « Ces enfants n’ont pas la volonté d’apprendre un métier. Dès qu’on les emmène ici, ils disparaissent deux jours après pour rejoindre leurs maitres».                                                                                                                  
Le centre socio professionnel des enfants en danger situé à Waraniené (4kms) du centre- ville, forme les pensionnaires à la menuiserie, la grillagerie, la couture, l’agropastorale et l’élevage. Il accueille une soixantaine d’enfants. Ouvert en 1981, pour accueillir des enfants privés de liberté, il reçoit à présent ceux de la rue, des victimes d’atrocités ou en détresse. A notre passage, il était désert, parce que les enfants ont été mis en congés, à cause de la panne du château d’eau. Certains ont tout de même été placés dans des familles d’accueil ou auprès des maitres artisans formateurs (MAF).
Adjoumani Adae, agent à la comptabilité à l’Anaed, ne cache pas les difficultés du centre, qui a besoin d’un véritable coup de pouce. D’abord pour la réhabilitation des bâtiments et l’équipement des ateliers. Car, aujourd’hui, seul l’élevage marche avec plus de 150 poussins. La couture suit avec quelques machines. Quant aux autres secteurs, tels la menuiserie, l’agropastorale, la grillagerie et le batik, ils sont carrément à l’arrêt. Pour une panne d’un coût de 600.000FCFA, le château d’eau est hors d’usage.
Le centre a également besoin de formateurs pour l’encadrement des pensionnaires et un véhicule de ramassage. « Car, parcourir 8kms par jour en aller et retour n’est pas évident pour ces enfants », selon Adae. Sur la liste des besoins, figure également des intrants (pour l’élevage) et des matériels d’accompagnement, à savoir des machines, des paires de ciseaux, des abreuvoirs, des mangeoires, etc, pour l’installation des enfants en fin de formation.

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