DECRYPTAGE- NAISSANCES ELEVEES, LES EXPERTS S’AFFRONTENT, » L’AFRIQUE PEUT AVALER SES POPULATIONS »
Le président français Emmanuel Macron
a-t-il raison d’affirmer que le nombre d’enfants par femme explique la pauvreté
en Afrique ? Pôleafrique.info a interrogé des spécialistes ivoiriens.
Résultat : Macron ne fait que relancer un vieux débat d’écoles.
« Dans un pays qui compte encore sept à
huit enfants par femme, vous pouvez y dépenser des milliards d’euros, vous ne
stabiliserez rien », répond Emmanuel Macron interrogé lors du sommet du G20 sur le
développement de l’Afrique. Les statistiques de l’ONG Reference population
bureau, révèlent que les chiffres avancés par le président français le 8
juillet 2017 sont faux. Au lieu de sept enfants par femme, les taux de natalité
oscillent entre quatre et cinq enfants par femme en Afrique. Ce, à l’exception
du Niger qui comptabilise un taux de six à sept enfant par femme.
Là où il y a le plus débat, c’est la causalité établie
entre la démographie et la pauvreté sur le continent.
Pendant que les discussions vont bon train entre
internautes africains, les députés de la CEDEAO prennent position. Ils
s’engagent à limiter le nombre de naissance à trois enfants par femme dans la
sous-région ouest-africaine.
Quelle lecture font, le Fonds des Nations Unies pour la
Population (UNFPA) en Côte d’Ivoire et le ministère ivoirien du Plan et du
Développement sur le débat ouvert début juillet 2017 ? Comment éclairer
l’opinion ? Nos demandes d’interview datant du 25 juillet 2017 adressées
aux deux structures avec accusé de réception connaissent des fortunes diverses.
A l’UNFPA, structure importante qui supporte le
partenariat de Ouagadougou sur la planification familiale, le courrier est
toujours sous traitement, selon la standardiste. Quant au second courrier, il
est adressé à l’Office national de la population (ONP), une direction rattachée
au ministère du Plan et du Développement. Mais là encore, le service de
communication nous demande, d’attendre la validation de son directeur, Dr Hinin
Moustapha, pour nous envoyer des réponses, ou le mois de septembre pour obtenir
des réponses, mois pendant lequel, la structure aurait décidé de communiquer.
Toutefois, Pôleafrique.info apprend que sous la houlette
de l’ONP, un atelier réunit, début août, l’ensemble des experts provenant de
ministères sectoriels en lien avec les piliers du Dividende Démographique. Les
cadres nationaux sont formés à la mise en place de l’Observatoire
National pour le suivi du Dividende Démographique. Dans son intervention
d’ouverture, le directeur de l’ONP, rappelle que la Côte d’Ivoire enregistre
depuis 2012 une forte croissance économique. « Cependant, du
fait de la forte croissance démographique du pays l’incidence de la pauvreté
reste encore élevée à environ 46,3%, expliquant la situation de précarité de
certaines couches de la population (…) Pour lui, la forte croissance
démographique se traduit concrètement par un nombre plus important de personnes
à nourrir, à loger, à éduquer, et à soigner. Par ailleurs, la forte proportion
de jeunes, qui représente plus de 77% de la population, impose aux gouvernants
une création d’emplois massive pour satisfaire leurs besoins », lit-on dans
le compte rendu de l’événement.
Dans la foulée, Dr Raymonde Goudou Coffie, ministre
ivoirienne de la Santé publique annonce une école des maris afin de réduire les
grossesses. Est-ce un hasard de calendrier ? Ces différentes initiatives du
gouvernement ivoirien cadrent bien avec la vision du Président français. Jusque
là, on est tenté d’avancer qu’Emmanuel Macron a totalement raison. D’ailleurs,
les spécialistes de la planification montrent des liens entre la pauvreté et la
non-maîtrise des naissances.
Koffi Isabelle, sage-femme et spécialiste en santé
publique est, par ailleurs, le point focal planification familiale au Programme
national de la santé de la mère et de l’enfant en Côte d’Ivoire.
Sollicitée, dans la documentation qu’elle nous remet, il
est démontré selon les chiffres de 2015, que 158 enfants de moins d’un an
meurent par jour, soit près de 7 enfants en moyenne chaque heure,14 femmes
meurent chaque jour suite à une complication liée à la grossesse, à
l’accouchement ou aux suites de couches, soit en moyenne 1 femme toutes les 2
heures.
« Le faible recours à la planification
familiale accroit fortement les risques de mortalité des enfants et des mères
en Côte d’Ivoire. En effet, lorsque l’intervalle de temps séparant l’enfant de
la naissance précédente est de moins de deux ans, près d’un enfant sur sept
meurt avant le premier anniversaire, alors que beaucoup moins de ces enfants
meurent au-delà de 3 ans d’espacement des naissances », explique le document des Ressources
pour l’Analyse de la Population et de son Impact sur le Développement (RAPID)
de 2015. Selon le même document, « un faible
accroissement de la population a favorisé une croissance économique d’ensemble
dans les pays en développement.
Des taux d’accroissement élevés et soutenus de la population n’ont pas contribué à la croissance économique ou à la réduction de la pauvreté dans les pays africains à fécondité élevée ».
Des taux d’accroissement élevés et soutenus de la population n’ont pas contribué à la croissance économique ou à la réduction de la pauvreté dans les pays africains à fécondité élevée ».
Une apologie du malthusianisme
Ces argumentaires découlent du malthusianisme. Thomas Malthus est le père
idéologique des politiques du planning familial. Pour cette théorie, plus la
population croît, moins il y a de nourriture disponible. Il faut alors retarder
les mariages, contrôler les naissances. A l’inverse, d’autres experts remettent
en cause le malthusianisme. Ils voient, à l’instar du théoricien Ricardo, la
main d’œuvre et les ressources naturelles comme des avantages comparatifs.
D’autres encore estiment que c’est la mauvaise gouvernance qui est source de
sous-développement en Afrique. La controverse Macron née début juillet 2017,
replonge l’opinion dans un débat de théoriciens.
« Une forte natalité ne peut jamais entrainer la pauvreté. Si un pays a
une bonne répartition des richesses, une bonne gouvernance, applique la
démocratie, a des institutions fortes, l’accroissement de sa population
n’empêchera jamais son développement. Les exemples de l’Inde, la chine,
l’Indonésie, et le Nigeria en font foi», se dresse l’ivoirien Maxime Sako,
consultant en économie interrogé par Pôleafrique.info.
Marcellin Koffi Allé, un autre économiste ivoirien, interviewé par la
Rédaction, va plus loin dans son argumentation : « le problème est que des
intellectuels africains consomment du prêt-à-porter. La planification familiale
veut faire du développement en compressant le rythme démographique. En terme de
superficie, l’Afrique peut avaler ses populations », indique-t-il.
Pour l’opposant au malthusianisme, le problème du développement est la
qualité du leadership. « La Chine a fait sa politique d’un enfant par femme
dans les années 70 parce qu’elle croyait que c’était la cause de son
sous-développement à l’époque, le pays est sur les rails. la Chine veut revenir
sur cette politique car elle a besoin de main d’œuvre. Elle délocalise ses
entreprises au Vietnam, en Ethiopie. Le nombre d’enfants par femme n’est pas un
problème, Macron n’a pas à le dire », soutient mordicus le spécialiste.
Koffi Allé, qui est par ailleurs, un économiste international, travaille
depuis dix ans sur le Rwanda, pays d’Afrique de l’Est. Ce pays se situe parmi
les pays ayant les taux de fertilité les plus élevés au monde. « Ce taux
n’est pas un problème pour Paul Kagamé dans sa politique de développement
», argumente Allé.
Et si la migration importante des jeunes africains vers l’Europe justifiait
la position d’Emmanuel Macron ?
« Le problème de l’Europe n’est pas notre problème. Notre part est de
développer nos pays pour que nos jeunes soient mieux ici. Leur part est
d’organiser leur politique migratoire » répond l’économiste.
Pour lui, si l’Allemagne, confrontée au vieillissement de sa population,
recrute massivement les réfugiés syriens, c’est parce qu’elle est consciente de
leur potentiel. « Ils ont des profils intéressants en terme de qualité de
la formation. Pendant le miracle ivoirien avec le boom du café/cacao dans les
années 70, la Côte d’Ivoire a eu recours à une main d’œuvre extérieure
»,étaye-t-il son argumentaire.
L’expert international ivoirien ajoute qu’« en Chine, l’industrie textile
insert, à elle seule, 50 mille personnes par usine. Ce qu’il faut à
l’Afrique, ce sont des populations formées. Et cela dépend en partie des
politiques publiques, du leadership des dirigeants. La population en elle-même
n’est pas un problème si le capital humain est utilisé pour soutenir le
développement»,est-il convaincu.
On le voit, chaque partie détient des arguments recevables au cas par cas.
Il apparaît difficile de conclure qu’Emmanuel Macron a tort ou a raison
d’avancer les propos tenus lors du sommet du G20. Toutefois, pour le
banquier de profession et ancien conseiller économique à l’Elysée qu’il a été,
Emmanuel Macron est bien au fait des débats économiques. Il aurait donc
pu nuancer ses propos.
Au fond, la gabégie, les détournements de deniers publics, les passations
de marchés publics hors cadre réglementaire, ne devraient pas être occultés
dans le diagnostic du sous- développement sur le continent africain.
Commentaires
Enregistrer un commentaire