INTERVIEW / FETES DE FIN D’ANNEE- LUCIE TETEGAN, PRESIDENTE DE L’ASSOCIATION OUEST AFRICAINE POUR LE DEVELOPPEMENT DE LA PECHE ARTISANALE (ADEPA) : « IL FAUT EVITER D’ACHETER LE POISSON LONGTEMPS CONGELE »
Interrogée en marge de l’atelier de formation sur les
directives de la gouvernance foncière de la FAO à l’endroit des acteurs de la
société civile tenu à Abidjan du 18 au 20 décembre 2017, Lucie
Tétégan, présidente de l’Association ouest
africaine pour le développement de la pêche artisanale
(ADEPA) insiste sur les conséquences de la pêche illicite.
Lorsqu’on évoque la gouvernance foncière, vous insistez
sur la pêche artisanale. Pourquoi cela est-il important pour vous ?
En même temps qu’on parle de l’accaparement des terres, c’est important de
parler de l’accaparement des eaux parce que les eaux sont situées sur des
territoires. En plus des eaux, nous avons les terres environnantes qui
entourent les eaux. Des pêcheurs vivent sur ces terres et leur milieu de
travail, ce sont les eaux. Dans ces eaux, il y a des conflits.
Quel type de conflit ?
Nos Etats signent des accords avec des pêcheurs industriels. Et ces
bateaux de pêche industrielle entrent dans les eaux territoriales. Les eaux
territoriales sont délimitées. Il y a la partie réservée à la pratique
de la pêche artisanale. Les petits bateaux ne peuvent pas aller loin.
Quand les gros bateaux finissent de prendre les poissons en haute mer, ils
s’incrustent dans la partie réservée à la pêche traditionnelle et
s’accaparent le poisson.
Quelles sont les conséquences de ce type de conflit en
mer ?
Les conséquences sont que les pêcheurs traditionnels n’auront pas
suffisamment de ressources à pêcher. Ce qui est grave, c’est que ces gros
bateaux entrent en collision avec les pirogues. Ce sont des accidents en mer.
Un accident sur terre a ses conséquences à plus forte raison sur l’eau.
Quelle que soit la façon dont vous savez nager, vous allez disparaître
sous l’eau. En août 2013, aux larges de Grand-Bassam, trois pêcheurs
artisanaux sont allés pêcher vers 23 heures et ils ont été renversés par un bateau.
Ces trois pêcheurs ont disparu sous l’eau. Le plus âgé avait 40 ans. Ce sont
des familles endeuillées, des épouses et des enfants qui restent seuls.
A côté de ces conséquences, quelle est l’incidence sur la
sécurité alimentaire ?
Ces gros bateaux qui viennent prendre les poissons, ne les vendent pas ici.
Ils vont les revendre chez eux. Ils viennent parce qu’il n’y a plus de poissons
chez eux. Ils signent des accords avec les Etats pour venir pêcher en haute
mer. Si nous prenons le cas de la Côte d’Ivoire, sachez que le pays importe du
poisson. Pourtant on sait que la pêche artisanale fournit du poisson. C’est
l’une des raisons. Tout ce que je viens de citer fait partie de la pêche
illicite. Et il y a plusieurs aspects.
Vous évoquez aussi la qualité du poisson, est-ce l’une
des conséquences de la pêche illicite ?
Les gros bateaux utilisent parfois des engins de pêche qui sont prohibés.
Ils ne respectent pas toujours la réglementation en vigueur, non seulement au
plan international, mais aussi au niveau national. Au niveau des pêcheurs
artisanaux, certains ne respectent pas non plus la réglementation parce qu’il y
a des engins de pêche interdits qu’ils utilisent. Il est interdit de pêcher
avec des pesticides. Vous verrez que des pêcheurs le feront parce que c’est plus
facile d’avoir beaucoup de poisson. Si vous êtes un acheteur ou un consommateur
de poisson, et que vous ne savez pas comment reconnaître le poisson pêché par
pesticide, vous l’achèterez.
Y a-t-il des risques à en consommer ?
Oui. Les pesticides sont toxiques.
Comment reconnaître ce poisson alors ?
En général, le poisson pêché avec des pesticides est blanchâtre. Il est
tout blême. Quelques fois, vous verrez de petites tâches sur ce poisson.
Est-ce évident pour le consommateur lambda ?
Ce n’est pas évident. C’est pour cela qu’au niveau de notre organisation,
nous sensibilisons beaucoup les pêcheurs. Nous leur demandons de
préserver la ressource. Si le pêcheur ramasse tout le poisson, il en aura plus.
La disparition de la ressource est une conséquence pour lui-même et sa propre
famille. Nous faisons également le
plaidoyer.
Votre plaidoyer trouve-t-il écho favorable ?
Nous faisons le renforcement des capacités aux professionnels du domaine,
nous renforçons les capacités des ONG du domaine au niveau
technique. Plus ils sont formés, plus ils auront une plus-value au niveau
économique. Cela va aider au plan social leurs familles. Nous les formons pour
qu’ils soient capables d’influencer les décisions qui seront prises. Que ce
soit au plan local, au plan national ou au plan international. Ce qui se
passait, c’est que les grands décideurs parlaient de la pêche sans les
pêcheurs. Aujourd’hui, de plus en plus les gouvernants se réfèrent aux
organisations professionnelles de pêche dans leur pays. Au niveau régional, cela
commence à venir.
C’est en cela que j’ai beaucoup aimé les directives volontaires de la FAO,
non seulement sur le foncier, mais en même temps sur la pêche artisanale. Le 10
juin 2014, la FAO a pris ces directives pour reconnaître l’importance de la
pêche artisanale. C’est une grande joie pour nous qui accompagnons ce secteur.
Les acteurs de la pêche ont été consultés avant la mise en œuvre de ces
directives.
C’est déjà l’heure des festivités de fin d’années, que
conseillez-vous de manière pratique aux consommateurs de poissons ?
Il faut demander l’origine du poisson. Il faut faire la traçabilité du
poisson car lorsque la chaîne de froid est interrompue, c’est un désastre.
Dès qu’il est pêché, le poisson est encore bon. Il contient des protéines.
Quand il n’est plus dans de bonnes conditions d’hygiène, de conservation et de
sécurité, il perd les aspects nutritionnels. En cette fin d’année, il faut
éviter d’acheter le poisson longtemps congelé. Les nutritionnistes
déconseillent de manger un aliment conservé au froid pendant plus d’une
semaine.
http://www.poleafrique.info/interview-fetes-de-fin-dannee-lucie-tetegan-presidente-de-lassociation-ouest-africaine-developpement-de-peche-artisanale-adepa
Commentaires
Enregistrer un commentaire