UN COMPLEMENT INDISPENSABLE DU TERRAIN : LA CELLULE RESEAUX SOCIAUX



La couverture des attentats constitue un défi en termes de mobilisation des équipes, d’organisation du travail et d’éthique journalistique. C’est aussi un exercice exigeant de recherche et de vérification de l’information, qui se joue en grande partie sur les réseaux sociaux.
Pour les journalistes de l’AFP, le souvenir des tueries terroristes perpétrées à Paris en 2015, de Charlie Hebdo en janvier, au Bataclan en novembre, n’est jamais loin. Ces chocs à la résonance mondiale ont profondément marqué les consciences et modifié certains automatismes. « La répétition des gros attentats nous a fait intérioriser le fait que d’autres se produiront. Elle nous a aussi conduits à établir des règles et à les faire évoluer », indique Philippe Onillon, le directeur de la région France. L’une de ces règles est la recherche systématique de témoins par tous les moyens à disposition, et notamment sur les réseaux Twitter, Facebook et autre Instagram.
« En cas d’événement de type attentat, la question ne se pose plus de savoir à quel moment nous devons aller sur les réseaux sociaux. Nous y sommes présents en permanence et cette couverture s’ajoute à celle des reporters sur le terrain », précise Grégoire Lemarchand, le responsable de la cellule réseaux sociaux. Selon lui, il est aujourd’hui « indispensable de mener ces deux actions de front et de manière coordonnée car elles se révèlent parfaitement complémentaires. »
Si les fondamentaux du journalisme d’agence restent inchangés, le champ de
la collecte d’informations se révèle plus large. « Dès l’alerte, le responsable éditorial envoie des équipes sur le terrain tandis que d’autres contactent des sources officielles. Mais les réseaux sociaux regorgent eux aussi d’informations et l’expérience nous apprend que c’est là qu’elles arrivent le plus vite », explique le spécialiste maison, évoquant le nombre croissant de tweets, photos et vidéos postés par des particuliers en pareilles circonstances.
Une procédure rapide et fiable
Car une fois que l’horreur a frappé, chaque minute compte. « La couverture se fait en direct et nous sommes particulièrement attendus sur la rapidité », souligne Phil Chetwynd, le rédacteur en chef central. Concrètement, « cela veut dire qu’avant même l’arrivée sur place de nos photographes, nous sommes obligés de rechercher des images sur les réseaux sociaux ». Pourquoi une telle course de vitesse ? « Les premières images ont une forte valeur informative », répond-il, observant que « dans la majorité des cas, un cordon policier se met en place et empêche toute autre prise de vue par les témoins. » Il faut donc aller vite, ces contenus non professionnels, les UGC (User Generated Content), étant en outre très recherchés.
Respectant cet impératif de rapidité, la procédure mise en place lors des attentats commis le 22 mars dans l’aéroport et le métro de Bruxelles a permis de repérer très tôt les personnes qui postaient des photos et des vidéos après les explosions. « Ces UGC étaient vraiment les images-clés de la journée. Ce sont celles qui ont été le plus téléchargées le lendemain », constate Grégoire Lemarchand.
Toutefois, détecter un contenu ne suffit pas : il faut l’authentifier, le vérifier puis contacter l’auteur ou l’émetteur et obtenir de cette personne l’autorisation de redistribuer son document sur le réseau mondial de l’Agence France-Presse. « Au cours de cette phase, nous devons à la fois tenir compte de l’état psychique de notre interlocuteur, qu’il ne faut pas harceler, et de la concurrence féroce que se livrent les médias pour obtenir ces UGC », précise le responsable du processus.
L’une des difficultés est de déterminer l’origine du document. « Il est nécessaire de remonter à la source originale », relève Grégoire Lemarchand. Or, dit-il, « il arrive que des personnes effectuent des copiés-collés d’un réseau à l’autre. » C’est ainsi que la première vidéo parue à la suite des attentats de Bruxelles, où l’on voit des personnes en panique sortir en courant de l’aéroport, a été postée sur Twitter par une journaliste. « Beaucoup de médias l’ont créditée. Mais au bout de quelques heures, elle a reconnu avoir pris la vidéo sur le compte WhatsApp d’un ami », relate le chef de cellule.
La sécurisation des droits s’avère déterminante. Si un simple « oui » reçu via Twitter peut suffire, « nous ne diffusons rien qui ne soit préalablement bordé sur le plan juridique », assure Phil Chetwynd. Dans un premier temps, un tweet rédigé ou approuvé par la direction juridique de l’Agence est adressé à la personne ciblée. Un document plus développé lui est ensuite envoyé. « Depuis que nous agissons de la sorte, nous n’avons eu aucune mauvaise surprise. »
Diffuser une culture de la vérification
Mais au-delà de ces précautions d’usage, la priorité va à la vérification du contenu lui-même. « S’assurer que nous ne sommes pas en présence d’un fake (fausse information) ou d’un hoax (canular) est la première responsabilité de la cellule réseaux sociaux », soutient son responsable. Pour cela, une procédure précise est en place. Elle s’appuie sur un contrôle éditorial rigoureux et une analyse technique la plus complète possible, de la date de l’image à ses métadonnées en passant par la géolocalisation et la détection d’occurrences de publications antérieures.
« Un grand nombre d’images fausses ou truquées nous remontent. Toutes sont soumises à vérification et nous ne validons aucun document provenant d’une source douteuse », ajoute Grégoire Lemarchand. Dans ce même souci de fiabilité, l’Agence s’est dotée en 2016 d’un nouvel outil, le système de gestion de contenu SAM Desk, spécifiquement adapté à la détection des UGC qui circulent sur les réseaux sociaux. Ses atouts : une plus grande rapidité dans un environnement hyper concurrentiel et un meilleur partage des informations dans l’ensemble du réseau AFP à travers le monde.
La technologie n’est cependant pas la recette miracle. « Ce que nous devons créer, c’est un système global de veille fonctionnant 24h/24, avec des personnels prêts à agir à Paris, Washington et Hong Kong quand survient un événement imprévu », plaide Phil Chetwynd. « L’attentat de Nice nous a prouvé l’efficacité d’un tel redéploiement de nos ressources : c’était un 14 juillet, il était tard, et c’est notre coordinateur vidéo à Montevideo (Uruguay), fin connaisseur des réseaux sociaux, qui a réussi à obtenir les droits de vidéos de témoins… »
« Notre objectif est de contribuer à la diffusion d’une culture de la vérification », abonde celui qui est désormais son adjoint à la rédaction en chef centrale. Il s’emploie pour cela à former des bureaux du réseau AFP aux nouvelles techniques et procédures, en rappelant que « si le doute est inhérent au métier de journaliste, il l’est plus encore sur les réseaux sociaux ».
Depuis les attentats de Paris, des échanges réguliers ont lieu entre rédacteurs en chef sur le thème des bonnes pratiques. La réflexion porte sur l’importance des sources (lire p. 38) ainsi que sur les moyens de combattre les rumeurs, mensonges et manipulations. « Il nous est apparu essentiel de dire ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas à un moment donné », note le rédacteur en chef central. Une petite révolution pour l’AFP, qui précise désormais dans ses dépêches si une information véhiculée avec insistance par les réseaux sociaux est confirmée ou non de source officielle. L’Agence France-Presse a ainsi pu battre en brèche la fausse information selon laquelle l’auteur de l’attentat dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier dans la discothèque La Reina à Istanbul était… déguisé en père Noël.








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