POURQUOI LES BANQUES SONT-ELLES SI FRILEUSES A FINANCER LA DIASPORA AFRICAINE ? REPONSE DE LA SOCIETE GENERALE
10 JANVIER 2019 -
SG
Diaspora
Marion Turbet, intrapreneur au sein du groupe Société Générale, se
penche depuis quelques mois sur des instruments financiers -mais pas seulement-
innovants destinés à la diaspora africaine pour accompagner et financer des
projets entrepreneuriaux (dont agricoles) et immobiliers.
Prenons
un cas de figure : je suis de la diaspora en France, j'aimerais investir dans
une plantation en Côte d'Ivoire, que me proposez-vous ?
Jusqu’à
très récemment, il existait peu de produits pour adresser les besoins
spécifiques de la diaspora. Nous avons constaté qu’un certain nombre de
personnes de la diaspora ont des projets dans l'élevage ou dans l’agriculture,
qu’il s’agisse de profiter des opportunités offertes dans leur pays d’origine
et qu’ils ont identifiées grâce à leur connaissance du marché, ou dans
l'optique de préparer un retour dans leur pays d'origine.
Or,
nous avons toute la légitimité de le faire puisque nous avons une présence à la
fois dans le pays de résidence de beaucoup d’entre eux -la France- et dans les
pays d'origine pour les principales diasporas en France. Nous avons, donc,
démarré un projet en interne pour mieux adresser les besoins spécifiques de la
diaspora. Ce projet a été sélectionné parmi des centaines d’idées pour être
accéléré dans le cadre du programme d’intrapreneuriat que Société Générale a
lancé en 2018, l’Internal Start-up Call.
Vous
intéressez-vous particulièrement aux projets d'investissements agricoles de la
diaspora ?
A
vrai dire, dans un premier temps, nous avons décidé de nous attaquer à des
sujets qui semblent encore plus prégnants parmi la diaspora : les projets
immobiliers.
Notre
sentiment est que le premier besoin de la diaspora africaine est d'avoir un
pied-à-terre dans leur pays d'origine. Pour toutes les personnes que nous avons
interrogées, c'est bien souvent la réalisation de soi, un peu un passage
obligé, un rêve. Mais, pour nombre d'entre eux, c'est encore très compliqué à
réaliser car il faut trouver un terrain non litigieux, des partenaires fiables,
transparents, capables aussi de comprendre leurs attentes car ils ont vécu à
l'étranger et ont souvent d'autres aspirations que ceux restés dans le pays
d'origine. Il faut trouver des entrepreneurs, un architecte sérieux qui vont
pouvoir réaliser leur projet, et des financements, ce n'est pas toujours très
facile. Il faut pouvoir challenger les devis, suivre son chantier à distance,
s’assurer que l’argent que l’on envoie pour financer le projet est bien utilisé
pour financer la construction.
En
ce qui concerne le financement, malgré une bonne connaissance de leurs clients,
les banques du pays de résidence sont très frileuses pour ces projets
transfrontaliers. En effet, elles connaissent mal le marché immobilier local,
elles ne sont pas en mesure de prendre des garanties réelles sur le bien
financé, etc. A l'inverse, les banques sur place, en Afrique, considèrent les
personnes de la diaspora comme non résidentes et donc plus risquées. En effet,
leurs revenus n’étant pas domiciliés chez elles, il leur est donc difficile
d’appréhender la solvabilité de cette clientèle .
Société
Générale a ici un avantage concurrentiel car présente à la fois en France et
dans nombre de pays africains dont les diasporas sont originaires. Nous
expérimentons actuellement différents services, qu’il s’agisse de solutions
financières innovantes ou des solutions d'accompagnement un peu plus concret,
notamment dans les projets immobiliers. Par exemple, des solutions de suivi de
chantier, de sécurisation des fonds alloués au projet car beaucoup de personnes
envoient des fonds à des personnes sur place, souvent des personnes de leur
famille, mais la probabilité que 100% de ces fonds aillent effectivement dans
le projet immobilier est parfois faible.
Nous,
en tant que banque, nous pouvons jouer ce rôle d'intermédiaire de confiance. On
travaille en ce moment sur ce projet et on le fera aussi sans doute avec des
partenaires.
Et
sur l'agriculture ?
Une
initiative intéressante qui porte sur l'agriculture mais qu'on envisage de
transposer sur l'immobilier est dérivée du Fongad Invest. C'est un projet qui
est en train d'être monté par des Sénégalais résidant aux Etats-Unis,
permettant à des membres de la diaspora de participer à un fonds de garantie
pour lever des financements destinés à des projets agricoles ou agroindustriels
en Afrique. Nous sommes en train d'étudier sérieusement cette question. Il
s'agirait de mutualiser les risques, comme le Crédit Logement : on demande à
toutes les personnes qui ont un projet de verser une cotisation qui sera réunie
dans un fonds mutuel permettant de cautionner des financements bancaires. Cela
permettrait de lever des barrières et de permettre aux banques d'être beaucoup
plus agressives dans leurs propositions de financement.
Nous
étudions ce sujet pour l'immobilier mais Fongad Invest, lui, s'intéresse à des
projets spécifiquement tournés vers l'agroalimentaire. C'est leur secteur
prioritaire.
Le
Cameroun ne reconnaissant pas la double nationalité, lorsqu'un Français
d'origine camerounaise vient vers vous pour monter quelque chose au Cameroun,
cela pose-t-il un problème ? Car ici il est Français et là-bas il est
Camerounais…
Oui
c’est effectivement le cas et c'est une vraie préoccupation pour la
diaspora. De nombreuses personnes de la diaspora n’ont en effet pas la
nationalité camerounaise, ce qui entrave leur capacité d’investissement au
Cameroun car la concession définitive de parcelles de terrain (titre foncier,
i.e. le vrai titre de propriété) est réservée aux personnes de nationalité
camerounaise ; les « étrangers » ne peuvent bénéficier que d’un bail de
location (sauf accord du ministère des Domaines, du cadastre et des affaires
foncières).
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