ÉDUCATION : PUBLIC, PRIVÉ, MÊME CONSTAT
Malgré les efforts des États et la multiplication des établissements privés, l’école africaine n’est toujours pas au niveau. À la recherche de main-d’œuvre qualifiée, des entreprises prennent le relais.
La rentrée est à peine passée que, déjà, au Burkina Faso et au Cameroun, la tension monte entre les syndicats d’enseignants et leur ministre de tutelle, sur fond de revendications salariales. En Côte d’Ivoire, les professeurs d’université se sont mis en grève pour obtenir le paiement des heures supplémentaires effectuées lors de l’année 2014-2015. Et en Afrique du Sud, les étudiants sont descendus dans la rue pour protester contre la hausse du prix des inscriptions. Des manifestations dispersées par les forces de l’ordre à l’aide de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc.Un défi démographique important
Partout, les systèmes éducatifs africains donnent des signes de faiblesse, malgré les efforts budgétaires réalisés par les gouvernements. « Le continent fait face à un défi démographique inédit tant par son ampleur que par sa vitesse. On cite souvent la Corée du Sud comme source d’inspiration pour les États africains parce qu’elle s’est développée en misant sur l’éducation. Mais dans les faits, les trajectoires ne sont pas comparables. Le taux d’accroissement de la population de beaucoup de pays est encore de 3 % par an.
Ils sont loin de bénéficier d’un dividende démographique [avantage économique après une baisse de la natalité, avec une population très productive] qui leur permettrait d’allouer les fonds nécessaires au fonctionnement des systèmes éducatifs », constate Marc Pilon, démographe spécialiste de l’éducation.
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Dans son dernier rapport, l’Unesco fait un état des lieux préoccupant de l’accès à l’école primaire. Selon les dernières statistiques disponibles, plus de 31 millions d’enfants restent exclus du système éducatif. C’était pourtant l’un des objectifs du millénaire définis par la Banque mondiale pour 2015. Néanmoins, ces quinze dernières années, le continent a réalisé d’impressionnants progrès quantitatifs : en 2014, 80 % des Subsahariens de 6 à 11 ans fréquentaient l’école primaire, contre 57 % en l’an 2000. Et les filles (77 %) presque autant que les garçons (82 %), se réjouit Hélène Charton, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).Les écoles privées, un atout pour le primaire
Héritage britannique oblige, les pays anglophones se sont naturellement appuyés sur les établissements privés pour améliorer les taux de scolarisation. En 2011, au Kenya, ces institutions accueillaient déjà environ 15 % des élèves du primaire, et les deux tiers d’entre elles coûtaient moins cher que les écoles publiques. Mais en Afrique francophone, marquée par l’approche française faisant de l’éducation un bien public, la montée en puissance des établissements privés a été beaucoup plus lente.
Néanmoins, aujourd’hui, ceux-ci prospèrent. « Un mouvement largement encouragé par les bailleurs comme la Banque mondiale », analyse Hélène Charton. « Le fait que l’on atteigne 83 % de scolarisation au primaire à Ouagadougou est fortement lié à leur présence », reconnaît le chercheur burkinabè Maxime Compaoré.
Un important manque d’enseignants
Reste que, selon l’Unesco, la qualité des enseignements dans le primaire est en baisse constante. Une situation qui s’explique par le fait que le continent a le plus fort ratio d’élèves par professeur qualifié – 44 en moyenne au sud du Sahara, contre 14 dans les pays développés. Un chiffre qui cache des situations encore plus inquiétantes. On compte un professeur pour 62 élèves au Togo et un pour 77 au Cameroun. L’accroissement du nombre d’enfants scolarisés est tellement rapide qu’il y a une pénurie d’enseignants, constate Maxime Compaoré. Et il ne peut y avoir d’éducation de qualité sans professeurs de qualité.
Dans ce domaine, les écoles privées ne relèvent pas toujours le niveau. Si la scolarisation a augmenté à Ouagadougou grâce à elle, « la qualité n’y est pas », regrette Maxime Compaoré. Un constat qui vaut pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Au Sahel, les chercheurs constatent la prolifération d’écoles communautaires, notamment celles privilégiant des enseignements en arabe, alors que cette langue n’a aucune existence légale au Mali ou au Burkina Faso.
Les familles qui font ce choix pour leurs enfants manifestent à la fois une défiance vis‑à-vis des écoles publiques, jugées peu performantes, l’expression d’une demande religieuse et, dans certaines régions, un souci d’intégration à leur communauté. Mais ces établissements ne sont pas les seuls à inquiéter les pouvoirs publics.
En Ouganda, au Kenya, au Nigeria et au Liberia, le groupe Bridge International Academies (BIA), fondé en 2008 par trois Américains sortis de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology (MIT), propose de scolariser des enfants pour 6 dollars (environ 5,50 euros) par mois. Au mois d’août, le ministère ougandais de l’Éducation a dénoncé des conditions d’hygiène et de sécurité qui mettent en danger les élèves et l’emploi de méthodes pédagogiques dépassées qui ne favorisent pas l’interaction entre les enseignants et les élèves.
Sommé de cesser les activités de ses 63 établissements dans le pays, BIA n’avait, selon la presse locale, toujours pas obtempéré début octobre. Cette mésaventure n’a pas dissuadé le Liberia de lui confier certaines de ses écoles primaires, dans le cadre du processus de libéralisation du système éducatif entamé à la rentrée. Un partenariat public-privé dont le coût est estimé à 65 millions de dollars pour l’État et qui garantit la gratuité de l’inscription pour les familles. La mesure, unique par son ampleur, suscite de nombreuses craintes, y compris celle du rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’éducation, Kishore Singh. L’économiste Justin Sandefur, du Center for Global Development, à Washington, se dit au contraire « prudemment optimiste sur la possibilité de parvenir à des progrès significatifs d’ici un an ».
À travers la déclaration d’Alger de 2005, les membres de l’Union africaine s’étaient engagés à affecter au moins 20 % de leur budget à l’éducation. Plus d’une décennie plus tard, rares sont les États qui ont tenu parole. Si le continent comprend quelques bons élèves comme l’Éthiopie (27 %), le Kenya (30 %) ou le Bénin (22 %), la plupart stagnent loin du compte, selon l’Unesco. Les dernières statistiques disponibles établissaient la moyenne subsaharienne à 17 %.
Formations techniques
Le chercheur s’interroge par ailleurs sur la volonté des États africains d’étendre la généralisation de l’accès à l’école au premier cycle de l’enseignement secondaire, alors qu’aucune réflexion globale n’a véritablement été entamée. Selon les chiffres donnés par l’AFD en 2015, en Afrique subsaharienne, 54 % des enfants en âge d’être intégrés au premier cycle du secondaire, soit 22 millions d’élèves, étaient hors de toute structure éducative.
Pourtant identifiés comme un facteur clé de développement pour les économies africaines, les cursus techniques restent peu présents dans l’enseignement public comme dans les écoles privées.
Si ces dernières accueillent pas moins de 20,2 % des collégiens et 27,5 % des lycéens en Afrique subsaharienne, elles privilégient encore très souvent l’enseignement général au détriment de ces formations, qui demandent plus d’investissements et sont encore socialement déconsidérées. « Ce domaine de la formation professionnelle reste encore inexploité et sous-équipé. Il n’offre que très peu de places comparé aux besoins », constatait l’AFD fin 2013.
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