LATH MEL ALAIN DIDIER (DIRECTEUR DE LA PROTECTION DE L’ENFANT): ‘’LA MEILLEURE FAÇON DE REAGIR, C’EST DE METTRE EN PLACE DES CENTRES DE RESOCIALISATION’’


lundi, 20 août 2018 12:51
La question des petites filles prostituées est délicate. Nous ne les voyons pas dans la journée. Le jour, elles exercent de petits métiers : la vente de lotus, de légumes et sachets d’eau dans les marchés. La nuit tombée, elles se livrent à cette activité.
Combien de filles mineures professionnelles du sexe avez-vous recensées en Côte d’Ivoire ?

Le dernier recensement dans ce domaine date de 1996. À cette époque, on comptait 175.000 enfants dans la rue. De 1996 jusqu’à ce jour, les choses ont évolué, le phénomène reste toujours d’actualité. On peut compter 5000 petites filles prostituées à Abidjan et ses environs. Les raisons qui font que les enfants sont dans la rue se sont multipliées.

La question des petites filles prostituées est délicate. Nous ne les voyons pas dans la journée. Le jour, elles exercent de petits métiers : la vente de lotus, de légumes et sachets d’eau dans les marchés. La nuit tombée, elles se livrent à cette activité. C’est pourquoi, nous faisons des équipes de nuit. Adjamé, Treichville, Koumassi, Marcory sont les zones de grande affluence.

On y rencontre de nombreuses petites filles professionnelles du sexe. Ces mineures sont très mobiles. Elles se déplacent vers les zones d’attrait économique. Elles y vont avec « des vieux pères », des « chao » qui sont leurs protecteurs. Les samedis, on les retrouve à Grand-Bassam; les fins du mois, à Yopougon.

Dans la commune d’Adjamé, la prostitution des mineures prend des proportions inquiétantes. Quelles actions envisagez-vous pour juguler ce phénomène ?

Le ministère de la Solidarité, de la Femme et de la Protection de l’enfance travaille avec ses services techniques pour mettre en place une stratégie pour la prise en charge de ces enfants. Le ministère a obtenu du gouvernement la construction de trois centres socio-éducatifs qui doivent prendre en charge ces enfants vulnérables. Dans chaque centre, il y aura un certain nombre de filles et de garçons. Ils apprendront des métiers.

Nous prendrons en compte le volet socialisation, car ces enfants ont perdu l’estime de soi, donc il faut les reconstituer, les amener à se valoriser et leur permettre de choisir un métier. Ces centres de transit permettront d’aider l’enfant à dire non à la rue. C’est ce travail que nous faisons, mais il est de longue haleine. Si nous voulons réussir cette mission, nous devons aller étape par étape de sorte que, quand la stratégie est élaborée, nous puissions avoir des financements auprès des bailleurs de fonds.

Ces enfants sont généralement exploités par un réseau de proxénètes. Quelle est la réaction du ministère face à cela ? C’est un phénomène qui est connu, nous savons que ces filles sont hébergées  par des proxénètes. D’autres ont des enfants qui vivent sur des étals, protégés par des vigiles, qui leur prennent 500 ou 200 FCfa pour passer la nuit. Depuis 2013, nous avons constaté la présence de petites filles dans ces zones et des proxénètes qui abusent d’elles et les encadrent. La mise en place d’une stratégie pour leur prise en charge aidera à lutter contre cette exploitation. Déjà, nous procédons par la sensibilisation de ces mineures avec l’appui des Ong.

Concrètement, comment se fait la collaboration avec les Ong spécialisées dans la protection des droits de l’enfant sur le terrain ? Nous travaillons en bonne intelligence avec les Ong, puisque le ministère les appuie chaque année par les vivres, la formation, les ressources humaines. Certaines Ong agréées disposent de centres de transit pour accueillir spécifiquement des filles, ici à Abidjan. Lorsque nous les découvrons et que nous les sortons de la rue, nous les replaçons dans ces centres de transit avec l’engagement d’assurer leur prise en charge et d’assurer leur scolarisation et leur réinsertion familiale.

Le vrai problème, c’est que ces enfants viennent de familles démunies. Les enfants fuient la précarité familiale pour trouver refuge dans la rue. La meilleure façon de réagir est de mettre en place des centres de resocialisation. Le gouvernement en a prévu à Man, Bouaké, Korhogo, pour les filles et les garçons. Il y a un travail  qui doit être fait à la base avec la famille, la communauté pour favoriser le retour de ces enfants dans la cellule familiale. Dans ces centres, des temps d’alphabétisation, d’apprentissage, des loisirs sont aussi prévus.

Comment atteindre vos objectifs quand certaines filles affirment qu’elles préfèrent rester dans la rue ?

Elles vous le diront, car elles sont à une étape où c’est l’idéal pour elle, puisque rien ne leur est proposé. Elles s’accommodent de la situation, sinon cela ne leur plaît pas. C’est par étape qu’il faut procéder pour les sortir de la rue. Dans la rue, les passes sont à 1000 Fcfa.

C’est sûr qu’elles vous diront qu’elles préfèrent la rue, puisqu’elles ne perçoivent pas cet argent quand elles sont dans la cellule familiale. Il y a aussi le fait que les proxénètes leur font miroiter un eldorado, et donc, elles entretiennent un espoir dans la rue. Quand ces enfants pensent aux conditions à cause desquelles elles ont quitté la maison, quand elles pensent qu’elles doivent y retourner, elles se disent qu’il vaut mieux souffrir dans la rue.

Interview réalisée par
Émeline Péhé AMANGOUA

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