OPTIMISER LA FORMATION DES PETITS ENTREPRENEURS, OU COMMENT LA PSYCHOLOGIE PEUT DEVELOPPER LE SENS DE L’INITIATIVE



Soumis par David McKenzie http://blogs.worldbank.org/sites/all/themes/blogs/images/tw1.gifle vendredi, 22/09/2017
Gouvernements, institutions de microfinance, ONG ont dépensé des milliards de dollars pour former les petits entrepreneurs. Les programmes de formation classiques visent en général à améliorer les pratiques professionnelles des chefs d’entreprise, en privilégiant la tenue des registres, le contrôle des stocks ou la commercialisation des produits. Mais si le recours plus systématique à ces outils semble améliorer la performance des entreprises (a), la plupart des tentatives de formation des entrepreneurs n’induisent qu’une évolution marginale des pratiques (a), ce qui empêche d’apprécier leur impact véritable sur les résultats commerciaux. Lorsque nous avons été sollicités, fin 2012, pour mettre au point une évaluation de l’impact d’un programme de formation déployé au Togo dans le cadre d’un prêt de la Banque mondiale, nous avons donc suggéré de comparer l’efficacité du programme envisagé (le Business Edge (a) de la Société financière internationale [IFC]) à une approche alternative.
Cette approche est le fruit d’un partenariat avec le psychologue Michael Frese (a), qui a conçu un programme de formation à l’initiative personnelle dont l’objectif est de développer des comportements proactifs chez les entrepreneurs plutôt que de leur enseigner des compétences commerciales de base. L’idée est de placer les petits entrepreneurs sur une trajectoire d’innovation et de différenciation, de leur apprendre à anticiper les problèmes et à être constamment à l’affût de nouvelles opportunités mais aussi de développer leurs capacités à surmonter les obstacles et à prendre des initiatives. Avec Mona Mensmann, étudiante en doctorat auprès de Michael Frese, et nos collègues de la Banque mondiale Francisco Campos, Leonardo Iacovone et Hillary Johnson, nous avons conduit un essai randomisé contrôlé afin de tester les deux approches. Les conclusions de cette étude sont publiées aujourd’hui dans la revue Science.
Contexte et sélection aléatoire
Dans le cadre de ce projet, nous avons organisé une campagne de communication à Lomé, la capitale du Togo, pour enrôler des entrepreneurs du secteur informel soucieux d’optimiser et de développer leur activité. Nous avons reçu plus de 3 200 dossiers. Nous avons alors constitué un échantillon de 1 500 entreprises (dont 53 % étaient détenues par des femmes, soit une égalité entre les sexes quasi parfaite), avec un niveau moyen de revenus mensuels de 200 dollars, opérant à 27 % dans le secteur manufacturier, 48 % dans le commerce et 25 % dans les services et ayant en moyenne trois employés (et deux en valeur médiane). Une enquête de référence a ensuite été organisée au dernier trimestre de 2013 pour les entreprises sélectionnées. Les entreprises ont ensuite été réparties de manière aléatoire en trois groupes égaux :
  • un groupe témoin, qui n’a bénéficié d’aucune formation ;
  • un groupe soumis à une formation classique avec le programme Business Edge d’IFC, axé autour de quatre grands thèmes : comptabilité et gestion financière ; gestion des ressources humaines ; commercialisation ; et démarches pour rejoindre le secteur formel ;
  • un groupe formé à l’initiative personnelle grâce au nouveau programme visant à développer l’esprit d’initiative et un comportement proactif.
La question du financement des entreprises permet de mieux comprendre la différence entre les deux types de formation. L’approche traditionnelle apprend aux entrepreneurs à tenir leur comptabilité, leur présente les différents types de prêts bancaires et leur explique comment solliciter un emprunt. La formation à l’initiative personnelle apprend au contraire aux entrepreneurs à identifier et rechercher des sources de financement inédites, au lieu de se contenter des banques (initiative), à s’autofinancer et miser sur leurs propres ressources pour éviter, à terme, une dépendance vis-à-vis de financements extérieurs (anticipation) et à parer à toute éventualité en concevant des plans alternatifs en cas de difficultés financières (persévérance).
En avril 2014, les entrepreneurs des deux groupes expérimentaux ont suivi 36 heures de formation (trois sessions d’une demi-journée par semaine). Puis, pendant les quatre mois suivants, ils ont reçu la visite d’un formateur, une fois par mois, pour revenir sur les principes inculqués. Chaque formation aurait dû coûter environ 750 dollars par stagiaire mais, grâce à des subventions, le coût a été ramené autour de 10 dollars. Le taux d’adhésion a été important, puisque 84 % des entrepreneurs ont effectivement participé aux formations.
Impact des formations sur la croissance des entreprises
Entre septembre 2014 et septembre 2016, nous avons organisé quatre vagues d’enquêtes de suivi pour étudier l’évolution des performances des entreprises sur la durée (2 ans et cinq mois). Le taux d’attrition a été faible, ressortant en moyenne à 9 %. En procédant à une sélection aléatoire dans les groupes, nous avons comparé dans le temps les performances d’entreprises similaires dont les entrepreneurs avaient suivi l’une ou l’autre des formations à celles des entreprises du groupe témoin.
Le graphique 1 illustre l’un des résultats remarquables : la formation à l’initiative personnelle a induit une hausse des bénéfices de 30 %, comparé à une hausse (non significative) de 11 % pour les entrepreneurs soumis à la formation classique. Cette hausse, la recherche le prouve, n’est pas à imputer à une poignée d’entreprises efficaces mais concerne bien l’ensemble de l’échantillon. Par ailleurs, les entrepreneurs formés à l’initiative personnelle ont vu leurs ventes mensuelles augmenter de 17 % par rapport à ceux du groupe témoin.



Cette hausse des bénéfices mensuels équivaut à un gain de 60 dollars par mois, soit une somme suffisante pour rembourser le coût de la formation en un an. La valeur plancher du retour sur investissement est de 82 %, le rendement estimé sur dix ans allant de 140 à 393 % selon la pérennité des retombées positives observées.
Comment expliquer la supériorité de la formation à l’initiative personnelle
Nous mettons en évidence plusieurs mécanismes pour comprendre les facteurs expliquant la meilleure efficacité de ce nouveau programme de formation par rapport à l’approche classique :
  • La formation classique augmente le recours aux pratiques habituelles de gestion d’une entreprise (comptabilité, commercialisation et contrôle des stocks par exemple). Mais même si ces outils ne font pas explicitement partie de la formation à l’initiative personnelle, les entrepreneurs qui ont bénéficié de cette nouvelle approche adoptent eux aussi la plupart de ces pratiques.
  • La formation alternative développe nettement plus le sens de l’initiative que la formation classique, un résultat mesuré à la fois par les réponses affirmatives à des questions de type « Je m’attaque activement aux problèmes » ou « Chaque fois que je rencontre un problème, je recherche immédiatement une solution », sur une échelle comptant sept points, et par des questions codées basées sur les réponses à des questions ouvertes sur les changements apportés par l’entrepreneur/e dans son mode opératoire, ce qui l’a incité/e à procéder à ces changements et la manière dont il/elle les a mis en place.
  • Les entrepreneurs formés à l’initiative personnelle innovent davantage, hésitent moins à introduire de nouveaux produits et ont davantage tendance à se diversifier que les entrepreneurs ayant suivi la formation classique.
  • Après avoir suivi la formation à l’initiative personnelle, les entrepreneurs empruntent davantage et se lancent dans des investissements plus importants.
Pris ensemble, tous ces éléments attestent de l’efficacité supérieure de la formation à l’initiative personnelle. De plus, tandis qu’un certain nombre de programmes de formation classiques se sont révélés peu efficaces pour les femmes (un constat renforcé par notre étude), la formation à l’initiative personnelle fonctionne aussi bien pour les hommes que pour les femmes chefs d’entreprise.
Tout cela prouve l’intérêt potentiel de la psychologie pour améliorer l’approche classique de la formation des entrepreneurs. Forts de ces résultats, nous avons déjà intégré une formation à l’initiative personnelle dans des nouveaux programmes de formation mis en place en Éthiopie, en Jamaïque et au Mexique. Nous attendons avec impatience de voir si nous pourrons corroborer nos premières conclusions dans ces environnements différents.
http://blogs.worldbank.org/africacan/fr/optimiser-la-formation-des-petits-entrepreneurs-ou-comment-la-psychologie-peut-developper-le-sens-de?cid=ECR_E_NewsletterWeekly_FR_EXT

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