FISTULE OBSTETRICALE : CE ‘’TROU’’ QUI CONTINUE DE FAIRE DES VICTIMES
Faute de suivi
des grossesses et des mariages précoces, nombre de femmes en milieu rural et
même dans certains quartiers précaires d’Abidjan continuent de souffrir de la
fistule obstétricale, une maladie invalidante et dégradante. Et ce, dans une
situation de marginalisation des proches.
Mme Cissé Maïmouna, vient d’assister à une cérémonie de
baptême d’un enfant de son quartier à Abobo Pk18. Ce fait qui paraît banal pour
les autres membres de la communauté à laquelle elle appartient, n’a pas la même
signification pour cette mère de famille. Elle qui, pendant plusieurs années, a
vécu à l'écart de la vie sociale parce qu’elle souffrait d’une fistule
obstétricale. « J’étais toujours mouillée et je dégageais en permanence une
odeur d'urine ou de matières fécales. Je vivais un drame, moi qui aimais tant
la vie communautaire », se souvient dame Cissé.
La quarantaine révolue, cette mère de famille revient de
loin. Grâce à une Organisation non gouvernementale (Ong) internationale qui
organisait une opération de lutte contre les fistules obstétricales à
l’intention des femmes vulnérables des différents quartiers précaires
d’Abidjan, elle a bénéficié gracieusement d’une intervention chirurgicale.
Totalement guérie, rayonnante et épanouie, elle a repris
son activité de vente de poisson fumé au marché d’Abidjan-Attécoubé.
Son mari, qui l’avait répudiée-pourtant ils étaient
légalement mariés et avaient en commun six enfants-mène depuis des jours des
démarches pour faire revenir sa femme à la maison.
Après plusieurs tentatives de réconciliation qui ont duré
plus de deux mois, Mme Cissé a accepté de rejoindre son foyer. « Je l’ai fait
pour mes enfants », insiste-t-elle.
Angèle Konan, ex-étudiante en sociologie à l’Université
d’Abidjan-Cocody a dû abandonner les études alors qu’elle était très brillante.
« Après mon accouchement, j’ai découvert que je n’arrivais plus à retenir mon
urine », indique la jeune femme, les yeux embués de larmes. Sa mère, Mme Ahou
Juliette, qui est à ses côtés pense que c’est un mauvais sort qui a été jeté à
sa fille parce qu’elle travaille bien à l’école. « Ce qui est curieux, quand
elle est à la maison, elle n’urine pas. Mais c’est quand elle va au cours parmi
ses camarades qu’elle fait pipi sur elle », soutient la mère de l’ex-étudiante.
Persuadés que des gens en veulent à leur fille, les
parents de Mlle Konan ont fait le tour de tous les guérisseurs, marabouts et
lieux de prières de la capitale économique ivoirienne et ses environs pour
retrouver l’auteur ou les auteurs.
Un ami de la famille a fini par les convaincre de
consulter un médecin. C’est là qu’ils apprennent qu’il s’agit en fait d’une fistule
obstétricale à la suite d’un accouchement très compliqué. Les parents ont pu
réunir la somme demandée par les médecins traitants pour les soins de leur
progéniture. Angèle Konan, elle, n’a désormais plus qu’une idée en tête, être
opérée et reprendre les études. Même si elle a des années universitaires en
retard.
Si Mme Cissé Maïmouna et Angèle Konan ont pu trouver une
solution à cette maladie, ce n’est pas le cas pour nombre de femmes vulnérables
vivant dans les quartiers précaires d’Abidjan et aussi en milieu rural.
Qu’est-ce qui provoque la fistule obstétricale ?
Selon le dictionnaire médical, la fistule obstétricale
est la constitution d'une communication anormale (une fistule) entre la vessie
et le vagin (fistule vésico-vaginale) ou entre la vessie et le rectum (fistule
vésico-rectale).
Une étude socio-anthropologique sur les fistules
obstétricales en Côte d’Ivoire de Unfpa-Côte d'Ivoire de 2008 révèle qu’en Côte
d’Ivoire dans plus de 95% des cas, les fistules sont d’origine obstétricale,
c’est-à-dire qu’elles surviennent lors d’un accouchement difficile appelé
dystocie.
« La tête du fœtus qui est solide va comprimer la vessie
ou le rectum et occasionner une plaie. Six jours plus tard, cette partie va se
détacher. Il va rester un orifice qui va communiquer avec le vagin ou avec le
rectum. Il y a la fistule urogénitale, c’est lui qui fait communiquer les voies
urinaires avec les voies génitales, mais, il peut avoir des fistules
recto-vaginales qui font communiquer le vagin avec les voies digestives. Les
fistules urogénitales font passer les urines par le vagin et celles appelées
recto-vaginales font passer les selles. On peut avoir les deux en même temps »,
explique le Pr. Gnagne, spécialiste en urologie, responsable des urgences de
chirurgie au Centre hospitalier universitaire (Chu) de Cocody.
La crise militaro-politique que le pays traverse depuis
septembre 2002, a entraîné un dysfonctionnement des structures sanitaires en
Côte d’Ivoire. Le manque de maternité et l’absence de personnel qualifié ont eu
un impact sur la fréquentation des maternités dans certains quartiers précaires
et certains milieux ruraux comme les ex-zones assiégées (Centre, Nord et
Ouest).
Conséquence, « nombre d’accouchements se pratiquent loin
des centres sanitaires. Des accouchements difficiles après un travail difficile
prolongé et en dehors de toute assistance médicale. Ce qui fait apparaître des
lésions », commente Dr. Kouadio Ernest, médecin gynécologue.
Stigmatisation
En plus de souffrir de cette maladie déshonorante,
l’ignorance et la méconnaissance des fistules font que les malades sont obligés
de faire également face aux attitudes de rejet et de stigmatisation.
Voisine d’une malade dans le quartier précaire de « Bori
Banan » dans la commune d’Abidjan-Attécoubé, dame Sita Sidibé soutient que sa
colocataire a eu ce mal à cause de ses activités sexuelles. « Elle a eu cette
maladie parce qu’elle ne faisait que changer de partenaires sexuels »,
soutient-elle.
La voisine dont il est question est une jeune fille d’à
peine 16 ans. Forcée à se marier à 14 ans dans son pays, le Burkina Faso,
Bintou Sanogo a dû fuir le foyer pour rejoindre sa cousine à Abidjan.
Bintou va par la suite tomber enceinte d’un jeune du
quartier. Elle cache son état à sa cousine. Ce n’est qu’au 7ème mois de sa
grossesse que la cousine se rend compte que Bintou attend un enfant. Elle ne
fréquentera aucune structure avant son accouchement.
Pis, elle passa trois jours avant de mettre au monde un
enfant mort-né. C’est suite à l’accouchement difficile qu’elle a eu la maladie.
La jeune dame est tenue à l’écart de la famille. Bien que
la maison soit petite, un petit espace a été aménagé pour elle. Elle ne sort
presque pas de ‘’cette chambre’’. Elle prend ses repas sur place. Il lui est
interdit d’utiliser les mêmes couverts que les autres membres de la famille.
Certaines personnes pensent que la maladie est
contagieuse. Mme Korotoum Sylla, une jeune femme qui vient à peine de sortir de
l’adolescence. Elle a 17 ans et a eu la maladie à la suite de l’accouchement de
son deuxième enfant. Vivant dans la cour familiale de son mari avec sa
coépouse, elle a été chassée de la maison par sa belle-famille. « Il m’a été
signifié que si je restais toujours dans mon foyer, j’allais contaminer la
deuxième femme de mon mari qui, elle aussi attendait un enfant».
Cette ignorance n’est pas seulement le fait de personnes
analphabètes. Certains Ivoiriens, bien que scolarisés, continuent d’expliquer
la maladie par des croyances populaires. Ange Dogba, institutrice dans une
école primaire publique d’Abidjan-Cocody, pense que c’est un sort qui est jeté
aux femmes victimes de cette maladie honteuse. « C’est un mauvais sort que certains
garçons leur jettent. Il s’agit des femmes qui passent leur temps à tromper les
garçons qui les draguent alors qu’elles n’hésitent pas à prendre leur argent »,
soutient-elle. Avant d’ajouter qu’elles sont possédées.
Théodore Kouadio
Une fistule est essentiellement un trou
Dans les cas de fistules obstétricale et traumatique, ce
trou apparaît entre la filière pelvi-génitale ou la voûte vaginale et les
organes internes comme la vessie.
Souvent, la femme aura des fuites d’urine ou de matières fécales, ou les
deux. La fistule obstétricale est souvent le résultat d’une interruption du
travail et peut être traitée et évitée.
Lorsque la tête du bébé exerce une pression contre le
pelvis de la mère pendant une période prolongée, l’irrigation sanguine peut
être bloquée, endommageant et faisant mourir éventuellement les tissus, ce qui
mène à la formation d’un trou entre la voûte vaginale et la vessie et, dans
certains cas, la voûte vaginale et le rectum. Les implications de cette
condition évitable sont multiples.
Non seulement, la femme perd son bébé et a des fuites
d’urine et possiblement de matières fécales, mais elle peut aussi être
abandonnée par sa famille et sa communauté en raison de l’odeur désagréable et
des stigmates sociales.
Selon le Programme international pour la santé des femmes
(Pusf), on estime que la fistule obstétricale touche deux millions de femmes
dans le monde, la majorité des cas étant dans les pays africains aux ressources
restreintes. Dans ces régions, l’accès à des accoucheuses qualifiés et les
césariennes sont limités et le taux de mariages forcés à un jeune âge est élevé. Les femmes
atteintes de la fistule sont les membres les plus marginalisées de la société,
soit les filles et les femmes pauvres et souvent analphabètes.
La prévention de la fistule
obstétricale
Selon les experts, l'existence de la fistule constitue un
baromètre de la santé maternelle dans le pays. Si la fistule diminue d’une
année à l’autre, cela signifie que la santé maternelle s'améliore. Les conseils
du Dr Kalilou Ouattara, chirurgien spécialisé en fistule pour prévenir la
maladie.
Retarder les mariages précoces
Le mariage précoce entraîne souvent des grossesses à
risque élevé. Les filles de moins de 15
ans sont cinq fois plus susceptibles de décéder suite aux complications de
l’accouchement et tendent davantage à être atteintes d’une fistule. Leur
organisme n’est souvent pas prêt à enfanter, causant une interruption du
travail.
Espacer les grossesses et limiter le
nombre total de grossesses
Permettre aux
femmes d’avoir accès à des services de planification familiale peut réduire
grandement les risques de développer une fistule obstétricale. Cet accès leur
donne plus de contrôle quant au moment où elles auront une grossesse et la
façon dont elles deviendront enceintes.
Avoir accès à des accoucheuses
qualifiées et aux soins obstétricaux d’urgence
Permettre aux femmes d’obtenir des soins médicaux
adéquats et en temps opportun réduira l’incidence de la fistule en garantissant
qu’une personne qualifiée pratique les interventions médicales nécessaires pour
prévenir cette pathologie.
Élaborer l’infrastructure
Les systèmes de transport, les centres médicaux ayant des
compétences chirurgicales et la formation médicale permettront aux femmes
d’avoir un meilleur accès aux services de santé de prévention et au traitement
potentiel requis au moment où elles en ont besoin.
Combattre la pauvreté
La fistule est courante parmi les femmes défavorisées qui
ne peuvent avoir accès à l’éducation et aux services médicaux nécessaires pour
assurer une grossesse sécuritaire.
Renseigner et autonomiser les femmes et
leur communauté
Une réduction des lésions et de la mortalité maternelle
peut être observée lorsque les femmes ont accès à l’éducation et aux services
et lorsqu’elles sont plus en mesure de prendre des décisions éclairées
concernant leur corps et leur reproduction. Renseigner les communautés sur la
prévention de la fistule et les traitements nécessaires amélioreront la qualité
de vie des femmes souffrant de cette condition débilitante.
Promouvoir les droits sexuels et
génésiques
Lorsque les droits sexuels et génésiques sont valorisés
par l’État, et que les services adoptent une démarche axée sur les droits, on
peut observer une réduction des lésions et des décès maternels.
Dossier réalisé par
Théodore Kouadio
http://fratmat.info/focus/enquete/fistule-obst%C3%A9tricale-ce-%E2%80%98%E2%80%99trou%E2%80%99%E2%80%99-qui-continue-de-faire-des-victimes
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