MALI : « ON NE PEUT PAS ABANDONNER LES ENFANTS MALADES A LA SELECTION NATURELLE »
Trois mois après la première opération à cœur ouvert à Bamako, le
cardiologue Mamadou Bocary Diarra appelle les autorités à investir davantage
dans la santé.
Trouver des
sous… Bamako a son hôpital pour enfants souffrant de maladies cardiaques, le
problème reste de trouver l’argent pour le faire fonctionner. C’est le message
qu’a voulu faire passer son directeur, Mamadou Bocary Diarra, dimanche
16 décembre, dans l’émission « Internationales » diffusée sur
TV5 Monde en partenariat avec Le Monde et Radio France internationale.
Le
10 septembre, le centre hospitalier mère-enfant Le Luxembourg, à Bamako,
accueillait une première au Mali : une opération à cœur ouvert sur une petite fille de 6 ans
atteinte d’une malformation cardiaque. Trois mois plus tard, ils sont plus de
58 enfants à avoir bénéficié des deux nouveaux blocs opératoires dont la
construction, financée par l’ONG française La Chaîne de l’espoir, apporte une
lueur d’espoir dans ce pays déchiré par la guerre depuis 2012. Reste à trouver
un mode de financement pérenne une fois que les bienfaiteurs seront repartis.
Quinze opérations par mois
Mamadou Bocary
Diarra, 60 ans, n’en peut plus de devoir choisir, parmi les jeunes enfants
sur sa liste d’attente, qui bénéficiera d’une opération à cœur ouvert. Avant la
construction du centre, les enfants malades les plus chanceux pouvaient être
opérés en France. Ils ont été environ 600 depuis les années 2000. « Ça
faisait à peu près une quarantaine d’enfants par an au maximum, ce qui était
nettement insuffisant », observe le médecin sur le plateau de TV5
Monde.
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directeur de fermer l’école, sinon ils reviendraient tous nous tuer »
En moins de
quatre mois, l’équipe chirurgicale de l’hôpital Le Luxembourg a dépassé
cette moyenne annuelle : 58 opérations ont été réalisées depuis septembre,
soit quinze par mois. Mais ce n’est pas assez pour le chirurgien malien : « Nous
comptons doubler ce rythme. Nous avons un volume d’attente considérable. Quand
nous avons démarré la première opération, le registre d’attente était à plus de
3 000 enfants. Et ça, c’est ceux qui ont pu venir à Bamako. » La
capitale rassemble 60 % des soins, pour seulement 12 % de la
population.
A l’hôpital Le
Luxembourg, chirurgiens maliens, français et italiens se relaient dans les
blocs opératoires pour traiter les malformations cardiaques des enfants. « Il
faudra environ un an, un an et demi, avant que les chirurgiens maliens puissent
opérer seuls », estime Mamadou Bocary Diarra. Aujourd’hui, ils
ne sont que trois Maliens à réaliser ce genre d’opération, alors qu’« il
faudrait huit chirurgiens pour que les deux blocs puissent fonctionner de façon
permanente ».
Une question de « volonté politique »
C’est vers le
pouvoir politique malien que Mamadou Bocary Diarra s’est d’abord tourné. Alors
que le Mali reste un pays où l’accès aux soins est difficile, il en appelle à
une implication financière plus importante : « Ce n’est pas
au-dessus des moyens de nos pays. Il s’agit d’une volonté politique qui doit se
manifester. Chaque pays choisit ses vivants et ses morts en fonction de
l’orientation que l’on donne au budget. »
Quelques mois
après avoir rencontré les autorités, le cardiologue espère encore :
« J’attends beaucoup de la part du pouvoir public, parce que nous avons un
ministre qui est chercheur. Je suis certain qu’il a les outils nécessaires pour
mettre en œuvre une politique digne de ce nom. J’en attends aussi de la part du
privé, des ONG locales, maliennes ou africaines, pour que nous nous donnions la
main. La Chaîne de l’espoir nous a mis le pied à l’étrier. Nous avions besoin
de cela pour démarrer, mais cela ne peut pas être une fin en soi. Il est temps
de s’organiser à l’intérieur de nos pays pour nous prendre en charge
nous-mêmes. C’est fondamental. »
Celui qui
plaide pour un réel développement des infrastructures nationales souhaite que
les acteurs de son pays cessent en premier lieu de rejeter la faute sur le
passé : « Il est hors de question de passer toute notre vie
à pleurnicher sur une colonisation qui n’est plus d’actualité. Il n’y a pas un
seul peuple qui n’ait pas été colonisé. Beaucoup de peuples se sont relevés
d’eux-mêmes. » Il en va de vies… « Il s’agit de la santé de
nos enfants. Vous ne pouvez pas laisser les enfants au sort d’une sélection
naturelle, dénonce-t-il. C’est immoral. »
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/12/20/mali-on-ne-peut-pas-abandonner-les-enfants-malades-a-la-selection-naturelle_5400119_3212.html
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