DANS LE SUD DE L’ITALIE, UNE RECOLTE DE TOMATES "DIGNE" CONTRE L’ESCLAVAGE DES MIGRANTS (2/2)

16/02/2018
Dans le sud de l’Italie, des millions de tonnes de tomates sont produites chaque année. Pour diminuer les coûts, de nombreux propriétaires terriens font appel à des travailleurs migrants, une main-d’œuvre peu chère, prise dans un système qui a tout de l’esclavage moderne : camps de fortune, travail harassant et sous-payé… Pour empêcher cela, une association a lancé sa propre production, où les migrants sont traités dignement. 
 
Gora est un jeune travailleur migrant originaire du Sénégal. Il a travaillé une saison dans la récolte de tomates au grand ghetto de Rignago, comme notre Observateur Ousmane Kassambara. Ecœuré, il a rejoint une association italienne qui propose un modèle agricole alternatif et éthique.

 
"Pour la première fois de ma vie, j’étais payé dignement"
En 2016 j’ai fait ma première saison de récolte des tomates. À Rignano, j’ai rencontré un cinéaste et je suis apparu dans son court métrage, Santi Caporali, qui parle de ce système. C’est comme ça que j’ai rencontré l’association Diritti a Sud qui récolte des tomates, tout en nous traitant dignement.
Le projet SfruttaZero ["Sans exploitation", en italien], co-crée par Diritti a Sud, récolte des tomates dans la région de Nardò. En 2017, les membres ont ramassé 16 000 kilos de tomates, transformées en 13 000 bouteilles de sauce tomate de 520 grammes.
 
On m’a mis sur le groupe Whatsapp, j’ai travaillé dans le champ, on m’a fait un contrat et je touchais environ 40 euros par jour pour six heures de travail. Pour la première fois de ma vie, j’étais payé normalement.
Aujourd’hui j’ai réussi à trouver un emploi à Parme, où je vis avec mon père. Avant de faire les récoltes de tomates, j’avais suivi une formation de mécanicien. Je fais aujourd’hui ce métier dans une usine. Comme moi, beaucoup de migrants ont un métier, mais c’est souvent impossible de l’exercer ici.


 
"Le problème vient de la grande distribution"
Bastien Fillon, 33 ans, est un français très impliqué dans le projet SfruttaZero.
 
J’ai rejoint le projet dans sa première année, en 2015. L’objectif était de proposer un contre-modèle au système des "caporali" et des ghettos.

Chaque année on grandit. Cette année, par exemple, on a pu faire 21 contrats agricoles, qui ouvrent aux travailleurs le droit au chômage. Nous rémunérons à l’heure - 7,19 euros nets - et non pas à la tâche comme avec les "caporali ". Tout ça permet à cinq personnes, dont deux migrants, de travailler en continu pendant quatre mois, épaulés par une quinzaine d’autres pour la récolte.

Nos tomates sont transformées dans une coopérative partenaire, qui fabrique une sauce tomate vendue 3 euros le pot dans des magasins biologiques, des boutiques de commerce équitable ou directement au particulier. On pratique l’agriculture biologique mais nous n’avons pas de label. On n’utilise aucun produit chimique.
Les pots de sauce à 60 centimes, ça entraine des salaires indécents"
 
On veut montrer que c’est possible de produire de la sauce tomate en Italie en respectant les gens. Le problème vient pour moi de la grande distribution, qui veut vendre des pots de sauce à 60 centimes et impose donc des prix d’achat dérisoires, ce qui force les propriétaires terriens à verser des salaires indécemment bas aux ramasseurs.

Les marques 
Cirio et Mutti, géants du secteur, ont ainsi été citées par le substitut du procureur général de Lecce, Paola Guglielmi, dans son enquête sur la mort d’un travailleur migrant. Abdullah Mohammed, un Soudanais de 47 ans, est décédé d’une crise cardiaque en juillet 2015 alors qu’il récoltait des tomates dans un champ de Nardò.

Troisième pays producteur au monde, l’industrie italienne de la tomate a généré en 2017 
3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaire.

Entre 400 000 et 430 000 travailleurs irréguliers et potentielles victimes du "caporalato" dans le secteur de l’agriculture se trouveraient sur le territoire italien, selon la fédération des travailleurs de l’agro-industrie (FLAI-CGIL). Parmi eux, 100 000 seraient dans une situation d’exploitation extrême et de grande vulnérabilité, 
rapporte Bastamag.

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