ROUTES MEURTRIERES DE COTE D’IVOIRE: COMMENT ARRETER L’HECATOMBE ?
| lundi
26 Fév 2018
Un
environnement favorisant l’incivisme au volant
Depuis belle lurette, on assiste
à la perte de vitesse de l’éducation traditionnelle et citoyenne dans la société
ivoirienne. Une tendance au gain facile s’est aussi incrustée dans la culture
ivoirienne. Ce qui engendre l’effritement du respect des normes et des valeurs.
D’où l’incivisme qui gangrène la société ivoirienne. Cela dit, au-delà des
prédispositions des uns et des autres, il existe également un environnement
(règles de jeu encadrant la conduite) qui facilite/incite les conducteurs à
violer l’esprit de la loi.
En effet, pendant longtemps les
agents de police chargés de veiller au respect du code de la route, jouissaient
d’un pouvoir discrétionnaire donné dans l’interprétation des lois conjugué à
l’absence de contrôle de ces mêmes policiers. De ce fait, les conducteurs de
véhicules transportant des marchandises ou servant au transport en commun
devenaient assujettis au racket tant bien même qu’ils avaient tous les
documents requis et respectaient le code de la route. Les différentes campagnes
de lutte contre le racket ont permis une petite réduction mais la pratique n’a
pas disparue. Face à cette norme parallèle, les conducteurs proposent
régulièrement de l’argent aux agents de police pour leur permettre de circuler
lorsque les papiers de véhicules ne sont pas au complet ou eux-mêmes ne
remplissent pas toutes les conditions pour conduire. Le nombre croissant de
conducteurs mineurs et inconscients dans le transport en commun en est une
illustration.
Aussi, le système rentier
d’agréments, basé sur le clientélisme et le favoritisme, rendent le coût des
dépenses d’investissement et d’exploitation élevé, notamment les taxes
étatiques (dédouanement des véhicules, patente, visite technique, péage, etc.),
communales et l’assurance constitue un réel poids financier pour les
propriétaires de véhicules. Plumés par ces coûts, ces propriétaires exploitent
les conducteurs en fixant des recettes journalières surréalistes. Ces
conducteurs sont aussi exploités par les ‘’Gnambros’’ (groupe mafieux) qui les
harcèlent et leur exigent des taxes illégales en usant de violences. Tout cela
pousse les conducteurs à l’incivisme routier pour obtenir la recette
journalière. Cela s’illustre surtout lors des heures de pointes où ces derniers
roulent sur le trottoir.
Par
ailleurs, la défaillance de la régulation des auto-écoles par les services de
tutelle du ministère du transport favorise la corruption de certains moniteurs
d’auto-écoles qui exigent des pots de vin lors des évaluations. Cette pratique
est presque devenue une norme informelle. Les personnes qui refusent de payer
ses pots de vin échouent maintes fois à l’évaluation. Leurs échecs finissent
par les contraindre à payer les pots de vin afin d’être admis pour avoir le
permis de conduire. C’est pourquoi certaines personnes obtiennent le permis
sans avoir réellement suivi la formation.
Des incitations positives pour
responsabiliser les automobilistes
Pour amener les automobilistes à
être plus responsables au volant, il convient de changer le contrat et les
règles encadrant la relation entre les propriétaires de véhicules et les
conducteurs, les conducteurs et les agents de police, les conducteurs et les
auto-écoles. Le but étant d’inciter les chauffeurs à la bonne conduite. Ainsi,
il convient de réduire en amont les coûts connexes au transport. Pour ce faire,
le gouvernement ivoirien pourrait revoir à la baisse les taxes payées par les
transporteurs et propriétaires de véhicules. Cet allègement pourrait se faire
contre la mise en place d’une fourchette raisonnable des recettes journalières
issues de discussions décentralisées entre les représentants des propriétaires
et ceux des conducteurs. Par ailleurs, ces discussions pourraient faciliter la
définition d’un statut de ces conducteurs pour leur permettre de mieux jouir
des fruits de leur travail. Dans cet élan, le gouvernement ivoirien pourra
prendre les mesures nécessaires pour mettre fin au règne des ‘’Gnambros’’ et de
toutes les taxes illégales. L’assouplissement du système rigide actuel des
agréments, pour son abolition à terme, permettra de supprimer les rentes des
propriétaires et réduira l’incitation à exploiter les conducteurs. Ces derniers
pourraient bénéficier du statut d’auto-entrepreneur avec des facilités
réglementaires, fiscales, financières pour acquérir des voitures (va
microcrédit) pour assainir le marché des pratiques d’un autre âge.
En outre, pour mettre fin à la
tentation de corruption entre agents de la police et conducteurs, la
gouvernance électronique pourrait être une alternative pour limiter tout
contact entre les agents de l’Etat et les usagers. La politique de vidéo
surveillance initiée par le gouvernement devrait s’étendre à d’autres grandes
villes et pourrait être utilisée pour le suivi des agents. Ce suivi pourra être
renforcé par des contrôles inopinés de la police anti-racket. Le paiement des
frais de contraventions aux services du trésor devrait être facilité par des
guichets dédiés fonctionnant 24H/24.
Quant aux moniteurs d’auto-écoles
corrompus, des moyens techniques devront être introduits lors des évaluations
pour renforcer la transparence. A cet effet, l’instauration de caméras lors des
tests de réussite pour donner la possibilité de contestation aux candidats qui
s’estiment lésés ou rackettés serait une bonne avancée. Un répertoire des
auto-écoles pourrait être dressé par le ministère et mis à la disposition des
usagers. Une mise à jour annuelle de ce répertoire appuyée par une notation
serait une bonne innovation. Cela permettrait à tous d’avoir l’information sur
les meilleures auto-écoles.
Enfin, il faudrait relancer la
réforme du permis de conduire à points suspendue depuis 2016, par le président
Alassane Ouattara, suite à une grogne sociale contre la vie chère et au danger
que peut représenter la mesure dans un environnement corrompu où les points
seraient à la merci d’agents de police tout puissant. Pour y arriver, le
gouvernement pourrait nouer le dialogue avec les professionnels du transport et
les syndicats pour aboutir à un coût consensuel du nouveau permis.
L’application de la règle du permis de conduire à points devrait renforcer la
responsabilisation des conducteurs. Dans cette réforme, la carotte et le bâton
devront être maniés avec dextérité.
Fangnariga YEO, activiste des
droits de l’homme et blogueur.
https://www.connectionivoirienne.net/133130/routes-meurtrieres-de-cote-divoire-comment-arreter-lhecatombe
Commentaires
Enregistrer un commentaire