« IMMIGRATION MAITRISEE » : COMBIEN PESENT LES SANS-PAPIERS AFRICAINS DANS L’ECONOMIE FRANÇAISE ?
23 février
2018 à 15h27
Parmi les mesures phares du projet de loi
français sur « une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif »,
présenté mercredi 21 février en conseil des ministres, la pénalisation du
recours à des fausses identités à des fins d’emploi, qu'utilisent des milliers
de travailleurs sans-papiers, notamment africains. Une mesure contre laquelle
150 d’entre eux se sont mis en grève depuis le 12 février.
Mercredi
21 février était présenté en conseil des ministres un projet de loi sur
« une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », porté par
le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Un texte dont Jacques Toubon,
défenseur des droits, estime qu’il « s’inscrit dans un mouvement global de
restriction de l’accès aux droits » (Le Monde du
22 février). Parmi les mesures phares : réduction des délais
d’instruction des demandes d’asiles, augmentation des durées de rétention
préalable à des expulsions et… la pénalisation du recours à des fausses
identités à des fins d’emploi.
Des
milliers de travailleurs sans-papiers africains utilisent ces
« alias » pour être salariés. En réponse à ce projet de loi, 150
d’entre eux se sont mis en grève depuis le 12 février. Ils estiment contribuer
abondamment aux secteurs les moins convoités de l’économie hexagonale, sans
jamais pouvoir être régularisés.
Sept entreprises occupées
C’est
le cas de Mamadou Diakité. Ce Malien de 42 ans, natif de Kayes, à la frontière
avec le Sénégal, est en France depuis 2001 et a enchaîné depuis les contrats
dans le bâtiment, une partie sous son vrai nom, le reste avec des
« alias», ces identités d’emprunt qu’on se passe « entre frères», et
toujours avec des contrats en bonne et due forme.
À
ses côtés, Salif Kane, 36 ans, un Sénégalais originaire de Matam. Dans
l’Hexagone depuis trois ans, il enchaîne de même les contrats dans le BTP. Tous
deux comptent parmi la quarantaine de travailleurs sans-papiers – de
nationalités africaines dans leur immense majorité – à avoir initié
l’occupation de plusieurs entreprises de la région Île-de-France depuis le 12
février. Ils étaient 160 grévistes à occuper sept entreprises le 21 février.
Devant
l’agence d’intérim du 12e arrondissement qu’ils occupent jour et nuit, une
forêt de drapeaux de la CGT rappelle l’implication active de l’organisation
syndicale dans ce dernier mouvement de contestation de travailleurs
sans-papiers, à l’instar de ceux qui, en 2008 et 2009, avaient
vu ces milliers de salariés obtenir aux forceps leur régularisation –
l’obtention d’un titre de séjour – de la part de l’administration.
En
cause, l’article 16, du projet de loi présenté par Gérard Collomb mercredi.
Celui-ci prévoit « la modification de l’article 441-8 du code pénal, qui punit
déjà le fait d’utiliser un document d’identité ou de voyage appartenant à un
tiers pour se maintenir dans l’espace Schengen. Le projet de loi prévoit de
criminaliser l’utilisation d’une fausse identité pour l’obtention d’un travail.
Ce qui touche très directement les sans-papiers africains, qui ont
majoritairement recours aux « alias » pour trouver du travail »,
explique Maryline Poulain, du collectif migrants de la CGT.
Des chiffres sujets à caution
Le syndicat milite activement pour leur reconnaissance par
l’administration, estimant qu’ils sont « des dizaines de milliers à
bosser » en France, et ce au profit de l’économie hexagonale. L’emploi de
travailleurs « sans titre », comme les appelle l’administration,
n’est pas neuf. Il s’est développé en France depuis les années 1970 et la
fermeture à l’immigration du marché du travail, dans la foulée du premier choc
pétrolier.
Juste
avant, en 1969, le ministère de l’Intérieur français estimait que 40 000
immigrés d’Afrique subsaharienne – en grande partie Sénégalais, Maliens et
Mauritanie – étaient présents en France, dans la grande majorité à Paris et
dans sa petite couronne : 9 500 étaient manœuvres, 2 000 ouvriers spécialisés
dans l’industrie automobile, métallurgique et dans le bâtiment, un millier à
travailler pour des services de nettoiement…
Un
demi-siècle plus tard, la photographie n’a pas pris une ride, sauf que nombre
d’entre eux sont clandestins et comptent parmi les 300 000 et 400 000 étrangers
en situation irrégulière aux yeux de l’administration
française. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas de titre de séjour, ou alors un
titre de séjour mais pas d’autorisation de travail (comme les touristes, les
demandeurs d’asile…).
À l’Insee, aucune donnée sur
les travailleurs clandestins n’est disponible
Des
estimations forcément sujettes à caution, qui s’appuient sur une extrapolation
du nombre de bénéficiaires de l’Aide médicale d’État et fait écho à des
chiffres déjà avancés dans un rapport de la
Commission d’enquête du Sénat sur les régularisations d’étrangers en situation
irrégulière datant de 1998. « Nous pensons que nous avons
autour de 300 000 personnes en situation irrégulière », déclarait Gérard
Collomb, début février, lors d’un débat devant l’Assemblée nationale après
avoir été interpellé par des élus d’extrême droite.
Concrètement,
l’activité des travailleurs clandestins est difficilement mesurable. Ce que disait
déjà le Sénat en 2006, jugeant les outils de statistiques sur les travailleurs
sans-papiers largement insuffisants.
Parmi
les documents sur lesquels s’appuie l’administration : un rapport d’une
commission d’enquête du Sénat sur l’immigration clandestine d’avril 2006, qui
porte sur 782 infractions d’emplois salariés d’étrangers recensées par
l’administration en 2004 – dont 184 en Île de France -. Sur ce total, 262
étaient dans le BTP, 126 dans les hôtels, restaurants et café. Des secteurs
dans lesquels les niveaux de rémunération n’atteignent pas toujours les minima
légaux.
Le cabinet
du ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, interrogé par Jeune
Afrique, n’a pas pu se montrer plus précis. À l’Institut
national de la statistique et des études économiques (Insee) non plus, aucune
donnée sur les travailleurs clandestins n’est disponible.
Des régularisations au compte-gouttes
Nombre de syndicats et d’organisations militantes jugent que
cette activité économique des travailleurs sans-papiers est dans son immense
majorité faite dans des relations contractuelles déclarées (CDI, CDD, contrats
d’intérim), donnant lieu au paiement de cotisations et parfois, quand les
revenus sont suffisants, comme dans le cas de Mamadou Diakité, au paiement
des impôts.
Un
collectif d’associations de défense des sans-papiers, parmi lesquelles Droits
devant, avance le chiffre – invérifiable – de deux milliards d’euros par
an encaissés par la Sécurité sociale et le Trésor public, sans qu’aucun
des droits afférents à ces cotisations (congé maladie, congé payé, chômage…) ne
puissent jamais être ouverts.
Les
régularisations qui le permettraient n’interviennent qu’au compte-gouttes : 30
000 régularisations par an en France, dont 5 000 au titre du travail, les
autres intervenant du fait de regroupements familiaux principalement, selon un
rapport de l’OCDE paru en novembre sur le recrutement des travailleurs immigrés
en France en 2017. 60 % des personnes régularisés pour des motifs économique
sont des ressortissants africains (Maliens, Marocains et Tunisiens en tête),
précise ce document. Et 53 % n’ont pas de diplôme, nettement plus que pour les
autres migrants régulièrement admis à travailler en France (39 % en moyenne).
Coût ou bénéfice, éternel débat
Ce
travail immigré – qu’il soit clandestin ou non – n’est pas une si
mauvaise affaire pour les comptes nationaux français. C’est
tout du moins ce que mesuraient les deux économistes Xavier Chojnicki et Lionel
Ragot (auteurs de L’immigration coûte cher à la France :
qu’en pensent les économistes ?) : sur l’année 2005, l’immigration
aurait fait gagner 4 milliards d’euros aux comptes de la Sécurité sociale, soit
0,5 % de PIB.
Pourquoi
? Les travailleurs immigrés « recourent plus fréquemment que les natifs
aux aides au logement (34 %, au lieu de 13,7 %), aux allocations familiales (35
%, au lieu de 24,3 %) et à l’assurance chômage (19 %, au lieu de 11,7 %). Mais, a
contrario, ils perçoivent moins de prestations liées à la santé ou
à la retraite. Et ils paient des cotisations sociales et des impôts sur le
revenu, les taxes sur la consommation (TVA) et les impôts locaux entre autres
taxes », indiquait Xavier Chojnicki à L’Express en 2012.
Rejetant
au passage comme fallacieuses les conclusions de Jean-Paul Gourevitch, un autre
économiste, qui pointe le « coût abyssal » de l’immigration pour les
comptes publics.
Le poids des transferts vers les pays d’origine
Dernière
trace de l’activité économique des travailleurs clandestins en France : le montant des
transferts vers leur pays d’origine. On en connaît l’importance
pour les pays bénéficiaires puisque le total de ces transferts dépasse parfois
l’aide au développement des bailleurs internationaux.
Les
chiffres de la Banque mondiale sur les transferts partis depuis la France en
2016 vers le Maghreb et l’Afrique ne trompent pas sur l’importance cumulée des
revenus perçus par les travailleurs immigrés africains : 1,6 milliard de
dollars vers l’Algérie, 60 millions de dollars vers le Cameroun, 47 millions de
dollars vers la Côte d’Ivoire, 37 millions de dollars vers le Burkina Faso…
Avenue
Daumesnil, Mamadou Diakité énumère les collègues de sa connaissance qui
cumulent cinq, dix ou quinze ans dans la construction, le tout sans papiers.
Pour l’Institut national d’études démographiques (Ined), la durée des séjours des
immigrants illégaux – avant une possible régularisation – est d’une dizaine
d’année. Dans l’immédiat, la loi Collomb est attendue au Parlement.
http://www.jeuneafrique.com/534899/societe/immigration-maitrisee-combien-pesent-les-sans-papiers-africains-dans-leconomie-francaise
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